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Ulimwengu Biregeya Bernardin[1]

Dans l'état présent du monde, plus que jamais, la vérité seule est salutaire, même, et peut-être surtout, quand elle n'est pas agréable. (Pierre Bernus)

La pensée peut penser la force, la force ne peut jamais forcer la pensée. (Edouard Claparède)

 

Résumé : Face à la coexistence nécessaire mais souvent problématique et piégée entre le politique et le religieux, cette réflexion appliquée au contexte congolais souligne que religion et politique sont appelées à collaborer pour promouvoir le mieux-être du peuple. Elle prône en même temps une critique objective de la co-responsabilité aussi bien dans la décadence actuelle que dans l’émergence possible de la RDC. Le spirituel et le temporel, le religieux et le politique ne sont pas deux ordres du type nuit et jour, blanc et noir, lumière et obscurité, mais plutôt de l’ordre relationnel du soleil et de la lune ou même de la lune et les étoiles. En effet, comme organe de la société civile, l’Église est un espace de participation politique indépendante pour l’exercice des vertus citoyennes, étant donné que l’amour prôné par la Bible doit déboucher sur une citoyenneté active, comme l’attestent aussi bien les Saintes  Écritures que la Sainte Tradition de l’Église. Pour s’en sortir et changer l’homme congolais, l’Église devra commencer par balayer devant sa propre case et être vraiment témoin de l’amour libérateur dans une consonance entre paroles et actes.

Mots-clés : politique, religion, laïcité, RDC, société civile, CENCO

Abstract: Vis-à-vis of the necessary coexistence but often problematic and trapped between politics and religion, this thought applied to the Congolese context underlines that religion and politics have to collaborate in order to promote the people's well-being. It extols an objective criticism of the co-responsibility in the actual decadence as well as in the possible emergence of the DRC. The spiritual and the temporal, the religious and the politician are not two orders like night and day, white and black, light and obscurity, but rather of the relational order of the sun and the moon or even of the moon and stars. Indeed, as a civil society organ, the church is a space of political independent involvement for the exercise of citizen virtues, since the love extolled by the Bible must clear on an active citizenship, as attested by the Bible and the Holy Tradition of the church. In order to change the Congolese man, the church should start with sweeping before his own door and be really witness of the liberating love in a consonance between words and acts.  

Key-words: politics, religion, secularism, DRC, civil society, National Episcopal Conference of Congo

Introduction

Le couple « religion et politique » semble, de nos jours et bien des fois au cours de l’histoire, connaître une situation de cohabitation conflictuelle entraînant des effets néfastes sur la société, alors que les deux entités sont supposées viser chacune et ensemble, le mieux-être de l’être humain dans ses relations constitutives, seul et en société. Il est alors de bon aloi de demander s’il est possible d’assurer une saine liaison entre ces deux domaines, ou si même, au nom d’une certaine collaboration, l’une ait, en quoi que ce soit, un œil regardant quant au domaine d’intervention de l’autre ; ou encore, s’il faille simplement qu’elles fonctionnent de façon monadiquement indépendante.

Pour être clair, la présidence de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) par le Cardinal Monsengwo à l’époque, celle de la Commission Électorale Indépendante (CEI) par l’abbé Appolinaire Malumalu (d’heureuse mémoire), puis celle de la CENI par le Pasteur Ngoy Mulunda, la présidence du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) par l’abbé Jean Bosco Bahala, les interventions des Commissions Justice et Paix, les diverses déclarations des évêques et autres hommes d’Église, la facilitation du dialogue politique ayant abouti à l’Accord de la Saint Sylvestre, les marches pacifiques organisées par le Comité Laïc de Coordination (CLC), ainsi que les actions du Conseil de l’Apostolat des Laïcs Catholiques du Congo (CALCC) en vue de l’alternance au pouvoir politique en RDC, ce sont là autant d’expériences faisant demander si les confessions religieuses n’outrepassent pas leur mission initiale qui est d’annoncer la Bonne Nouvelle et assurer le lien entre les humains et Dieu, pour mériter la félicité future.

Dans le contexte catholique, il est interdit aux clercs de remplir les charges publiques qui comportent une participation à l’exercice du pouvoir civil[2]. Et le même Code de préciser qu’ils ne prendront pas une part active dans les partis politiques ni dans la direction des associations syndicales, à moins que, au jugement de l’autorité ecclésiastique compétente, la défense des droits de l’Église ou la promotion du bien commun ne le requièrent[3]. Ce principe fait demander s’il est des moments où la promotion du bien commun constitue moins ou plus la préoccupation de l’Église, ou s’il faille attendre d’être lésé, pour s’impliquer dans la bonne marche de la chose publique ! La probabilité est qu’il s’agit de veiller à ce que la gestion du temporel soit réservée au politique, sauf si ce dernier compromet les intérêts de l’Église ou ceux de tous les citoyens.

Dans un Congo dit « démocratique » mais aussi laïc aux multiples défis de gouvernance, d’aucuns se demandent si les confessions religieuses ont, à quelque degré, à se prononcer sur la situation socio-politique sans outrepasser leurs compétence et mission. Aussi, se demande-t-on si les prises de position de la CENCO (Conférence Épiscopale Nationale du Congo) sont unanimes ou idéologiquement partisanes selon les humeurs et intérêts géopolitiques et stratégiques, alors que l’Église est là tant pour les membres de la majorité au pouvoir que pour ceux de l’opposition politique cependant souvent rassemblés mais rarement, si jamais, réellement unis. La présente réflexion s’attèle à une analyse critique de la relation souvent tendue entre les confessions religieuses et les gouvernants de la RDC à cause du dépassement du mandat constitutionnel de ces derniers. Tout en tenant compte des interventions aussi bien des catholiques que des protestants et musulmans, elle s’attèle particulièrement à l’Église catholique romaine œuvrant en RDC. Cela se justifie par le poids aussi bien démographique que social et politique de cette confession religieuse dans ce pays.

Plus concrètement, nous y parlons des confessions religieuses comme organes de la société civile. En même temps, nous montrons que la collaboration entre le politique et le religieux est en même temps une chance et un piège. À ce sujet, les Saintes Écritures sont scrutées, et la Sainte Tradition est abordée. Par la suite, l’apport politique de l’Église catholique romaine de la RDC est indiqué, avant d’en indiquer les défis ainsi que les perspectives, à la lumière d’esprits éclairés qui ont fait des analyses en cette matière. Et dans la mesure où bon nombre de personnes se demandent à quel titre l’Église s’invite au débat portant sur le quotidien de la nation, la section ci-après clarifie ce qu’est la Société civile, et dans quelle mesure les confessions religieuses en font partie.

Confessions religieuses, organes de la société civile

Dans la mesure où les confessions religieuses constituent des organes de la Société civile, il convient de faire une certaine clarification conceptuelle quant à ce qui est de l’exercice de leur mission dans ce cadre-là. Toutefois, comme le stipule Jeanne Planche[4], il n’est aucunement possible d’avoir une conception consensuelle de ce qu’est la société civile. Pour ainsi dire, les définitions adoptées sont fonction des contextes.

Faut-il ainsi noter qu’Aristote désigna du nom grec de « χοινονια πολιτιχη » «koïnonia politikè» («Société citoyenne», et plus tard, le concept latin de Cicéron: « societas civilis »), une assemblée sans hiérarchie dominante, composée de personnes partageant les mêmes points de vue, ce qu’on appelait alors «polis», c’est-à-dire, la société citoyenne ou politique. Dire que la koinônia politikê aristotélicienne, la societas cicéronienne, la civitas terrena augustinienne, l’universitas médiévale, ne sont pas des figures de la société civile n’exclue pas qu’elles aient joué un rôle, un rôle essentiel même, dans la formation de son concept[5].

Toutefois, l’idée d’une société civile conçue comme une sphère d’actions à différencier de l’État est née pendant le siècle des Lumières. Elle acquit son caractère moderne grâce à des auteurs tels que John Locke et Montesquieu. Il y était question d’une société dans laquelle les êtres humains vivent ensemble dans une communauté de citoyens qui ont droit à la parole. La Société Civile est, par conséquent, considérée comme un domaine au sein de la société, situé entre les sphères étatique, économique et privée, ou encore, entre État, marché et famille. En ce sens, les acteurs de la Société civile sont, en principe, toujours impliqués dans la politique, sans pour autant viser des fonctions étatiques : ils préfèrent garder une position indépendante[6]. Ce qui n’est néanmoins, souvent pas le cas en RDC où la Société civile semble bien politisée, constituant même juste un tremplin pour s’emparer de postes politiques. Ses membres d’hier deviennent dociles et fervents au régime aussitôt qu’ils sont affectés à un poste politique alléchant. Il arrive même qu’il y ait une société civile apparemment inféodée à la Majorité, et une autre, pro-opposition !

En principe, la Société Civile a pour fonction de : protéger de l’arbitraire étatique, celle de sécurisation de la liberté à travers l’observation et le contrôle du pouvoir politique, celle de participation à l’événement politique, l’allègement des tâches de l’État telle que l’assistance aux nécessiteux, l’articulation des valeurs communautaires (rôle intermédiaire entre les citoyens et l’État), la démocratisation (formation de l’opinion publique et de la volonté populaire), et la fonction de règlement des conflits sociaux[7].  L’existence de cette société est pratiquement basée sur le principe en vertu duquel celui qui gouverne ne doit en même temps pas être juge et partie. Ainsi, par la séparation entre l’État et la société civile, on entend mettre en lumière le fait qu’en face du pouvoir qui gère l’État, il y a un contre-pouvoir qui a pour mission de former de manière informelle l’opinion et la volonté politiques des citoyens, comme le reconnaît à juste titre Tryphon Bonga[8].

Le danger est, - à ce point de vue -, que d’une part, cette société pense ne jouer son rôle qu’à travers des prises de positions contre les gouvernants, comme s’il s’agissait d’un organe de l’opposition politique ou comme si son œil ne perçoit que ce qui ne va pas (vision négativiste de l’action des gouvernants en place). D’autre part, il y a lieu que la société civile s’inféode au pouvoir, pour l’obtention de postes politiques, l’un de rares moyens d’enrichissement facile en RDC. Dans ce cas, elle se prend pour défenderesse de l’État, n’en dénonçant les failles que rarement, une dénonciation de façade, juste pour des raisons tactiques intéressées. C’est ce qui conduit Kä Mana[9] à affirmer qu’au Congo, les structures de la Société civile se calquent sur les instances politiques dont elles reprennent les titres et les modes de fonctionnement jusqu’à la caricature, ayant en leur sein des majorités et des oppositions, des gouvernements légitimes et des ailes illégitimes ! C’est pourquoi même la coordination de ces organes est défectueuse.

Par ailleurs, les parties prenantes sombrent habituellement dans ce que Simon-Pierre Iyananio[10] qualifie de « syndrome d’Adam et Ève ». En effet, chacun rejette la responsabilité du marasme socioéconomique congolais sur l’autre : les partis d’opposition sur la majorité au pouvoir, la Troisième République sur la Deuxième, les gouvernés sur les gouvernants, les jeunes sur leurs aînés, etc. Pourtant, renoncer à reconnaître sa part de responsabilité, c’est simplement et purement de l’infantilisation et de la victimisation ne pouvant aucunement contribuer à l’avancement du pays. 

Face à ce danger, il nous semble urgent d’opter pour ce que Benoît Awazi appelle christologie négro-africaine de la libération holistique, comme thérapeutique théologico-politique devant transmuter les sociétés post-coloniales en lieux de résistance religieuse, symbolique, politique et culturelle face à la (re)colonisation néolibérale[11]. C’est à ce titre que peuvent être vaincues les conséquences de l’indépendance-dépendante, mieux, l’indépendance de plâtrage qu’incarnent des institutions économiques, politiques, culturelles et même spirituelles de notre temps.

            Pour John Locke, il est du devoir de l’État de garantir au citoyen l’égalité devant le droit, la liberté, l’intégrité et la propriété. Quant à Montesquieu, il attribue beaucoup moins à la société citoyenne le rôle de contrôleur de l’État que celui d’intermédiaire  entre  les  citoyens  et l’État. Alexis de Tocqueville, plus tard, considère la société civile comme le lieu de naissance et d’exercice des vertus citoyennes, telle que la participation. Hegel estime, quant à lui, que la Société civile désigne un espace indépendant, hors de la sphère naturelle de la famille et de la sphère, plus élevée, de l’État : les citoyens peuvent, en tant que personnes privées, y poursuivre leurs intérêts particuliers légitimes (en premier lieu, leurs intérêts économiques), aplanir leurs différends et, dans une certaine mesure, régler leurs affaires[12].

            Somme toute, les organisations de la société civile sont indépendantes de l’État et des organisations économiques. Ne poursuivant pas un but lucratif, elles sont au service de la "chose publique". Ne poursuivant pas des fonctions étatiques, elles s’intéressent uniquement à une participation politique indépendante. Leur rôle est de protéger de l’arbitraire étatique, l’observation et le contrôle du pouvoir politique, la participation à travers une augmentation de la motivation et de la capacité à participer à l’événement politique, la fonction d’allègement de l’État au regard de certains problèmes qu’il ne saurait résoudre correctement, la fonction d’articulation (comme intermédiaire entre citoyens et État), la fonction de démocratisation, et celle de règlement des conflits sociaux[13].

            Partant, il est communément admis que les organisations de la société civile  comprennent  les  Organisations  non  gouvernementales,  les organisations de défense des droits humains, les syndicats, les associations professionnelles, les groupes de femmes, les communautés religieuses et les autorités coutumières, les organes de presse et les médias privés, etc.[14]. Pour sa part, Habermas[15] estime que font partie de cette société : des Églises, des associations sportives et de loisirs, des clubs de débat, des forums et des initiatives civiques, des syndicats, des universités, des systèmes d’assurance, des représentations corporatives, des associations de bienfaisance, des chambres professionnelles, etc.

            De ce qui précède résulte donc que les confessions religieuses sont, à part entière, des organes de la Société civile, et jouent ou devraient, selon la nature de chaque organe, jouer les rôles susmentionnés. Elles le font même à bien des égards en RDC en matière d’éducation, de santé, de règlement des conflits, de citoyenneté responsable... Faut-il examiner cependant l’envers et le revers de la conjonction entre le spirituel et le temporel. C’est à ce prix que pourra être promu une combinaison heureuse du spirituel et du politique au service du bonheur partagé.

Ainsi, au regard du rôle politique que jouent la religion et les confessions religieuses, il y a lieu de se demander si cette collaboration constitue un atout ou un danger de part et d’autre. Au fait, Paul Dimouchel[16] a raison de dire que la religion et la politique ont toujours été liées parce que poursuivant le même but : résoudre le problème humain du vivre-ensemble et de la violence, bien que les approches y afférentes ne soient pas les mêmes. C’est cela-même qui explique aussi leur coexistence conflictuelle.

Partant, c’est à juste titre que Efoe Julien Penoukou posait un questionnement fondamental : au regard de la situation actuelle qui caractérise le continent noir, après des siècles d'esclavage, de colonisation, et des décennies d'indépendance dans la dépendance internationale, la faillite et à présent la détresse, en quoi et comment Jésus-Christ, qui se proclame Rédempteur de tout homme, en tout temps, peut-il l'aider à sortir par lui-même de l'échec et du désespoir, afin d'assurer son histoire propre[17] ? Quant à Kä Mana, il se demande si l'Évangile tel qu'il nous fut annoncé par les étrangers constitue une force politique de libération ou un pouvoir d'aliénation profonde[18]. Il nous semble alors opportun de vérifier ce qu’en disent tant les esprits éclairés, les Saintes écritures, la tradition ainsi que le magistère.

 

[1] Chef de Travaux à l’Université Catholique la Sapientia de Goma, et expert en Paix et développement.

[2] Code de droit canonique, Traduction française du Codex iuris canonici par la Société internationale de droit canonique et de législations religieuses comparées, avec le concours de la Faculté de droit canonique de l’Université Saint-Paul d’Ottawa et de la Faculté de droit canonique de l’Institut catholique de Paris, 1983, canon 285, § 3.

[3] Canon 287, § 2.

[4] Jeanne Planche, Société Civile : Un acteur historique de la gouvernance, Paris, Editions Charles Léopold Mayer, 2007. En ligne sur https://www.amazon.fr/Société-civile-acteur-historique-gouvernance/dp/2843771226

[5] Bruno Bernardi, Société civile : recherches sur la genèse et l’actualité d’un concept, « Civitas terrena, civitas Dei : la voie augustinienne », Séminaire tenu à Paris, 2008. En ligne sur https://rousseau2.files.wordpress.com/.../sc-2-koinonia-aristote-au-commencement-_.p...

[6] Nina Cvetek & Friedel Daiber, Qu’est-ce que la Société Civile ? Antananarivo, 2009. En ligne sur library.fes.de/pdf-files/bueros/madagaskar/06890.pdf

[7] Nina Cvetek & Friedel Daiber, op.cit.

[8] Tryphon Bonga, « De qui la société civile doit-elle être l’alliée en République Démocratique du Congo ? » in Congo-Afrique, n° 508 (octobre 2016), Kinshasa, CEPAS, 2016, p.747.

[9] Kä Mana, L’homme congolais et la culture de l’intelligence. Réflexions pour une société du savoir, de la recherche et du savoir-faire, Goma, Pole Institute, 2016, p.47.

[10] Simon-Pierre Iyananio, L’Église catholique et l’éducation civique des populations en République Démocratique du Congo. Le cas de Shabunda, au Sud-Kivu, Thèse de doctorat en théologie pratique, Université Laval, Québec, 2015, p.33. en ligne sur https://www.ftsr.ulaval.ca/fileadmin/theo/fichiers/recherche/.../soutenanceSPI.pdf

[11] Benoît Awazi Mbambi Kungua, De la postcolonie à la mondialisation néolibérale. Radioscopie éthique de la crise négro-africaine, Paris, L’Harmattan, 2011, p.80.

[12] Nina Cvetek & Friedel Daiber, op.cit.

[13] ibid.

[14] Kokodoko Ayélé Yentineko et al., Le rôle de la société civile dans l’éducation à la citoyenneté au Togo, Réseau Ouest et centre Africain de Recherche en Education, 2008. En ligne sur www.rocare.org/.../2008/Role%20de%20la%20societe%20civile%20et%20la%20citoy

[15] Habermas, cité par Tryphon Bonga, op.cit., p.750.

[16] Paul Dimouchel, « La religion comme problème politique », in Revue du MAUSS, n° 22, 2003.

[17] Julien Efoe Penoukou cité par Kä Mana, Christ d'Afrique : Enjeux éthiques de la foi africaine en Jésus-Christ, Paris-Nairobi-Yaoundé-Lomé, Karthala-CETA-CLE-HAHO, 1994, p.5.

[18] Kä Mana, Christ d'Afrique… op.cit., p.7.

La loi et l’ordre spirituel

Que la religion se prononce sur la gestion de la chose publique, il n’est rien de tabou. Et cela peut avoir lieu tant pour ce qui va que pour ce qui va moins. En effet, il arrive que les idéologies politiques aillent à l’encontre du bien commun. L’on connaît bien l’adage populaire selon laquelle en politique il n’y a point d’ami mais simplement des intérêts. Raison pour laquelle il convient qu’il y ait un regard critique sur l’action des politiques. Ce regard peut être l’œuvre des citoyens individuellement ou collectivement.

Pour Hannah Arendt[1], celui qui domine d’autres hommes et qui, de ce fait même, est essentiellement différent d’eux, quand bien même est-il plus heureux et plus enviable que ceux qu’il gouverne, n’en est pas pour autant plus libre. Par ailleurs, parlant des vacances de la probité (ou éclipses de la probité) en politique, Edouard Claparède[2] classe savamment les idéologies en deux groupes : celles de la Force, et celles de l’Esprit. À son sens, les idéologies de la force prennent pour idéal la puissance. Pour elles, le bien est ce qui assure ou augmente celle-ci, le mal, tout ce qui est capable de l’ébranler. Ainsi, pour les dictatures, n’est juste et vrai que ce qui ne risque pas de porter atteinte à la Force. À leur propre Force, bien entendu. Tandis que la doctrine de la Force est fondée sur l’affirmation inconditionnée du Moi, la doctrine de l’Esprit, au contraire, expose constamment le Moi à une limitation de sa puissance : limitation dans l’ordre intellectuel (la Vérité), limitation en faveur de la puissance des autres (le Droit).

L’auteur précité note cependant que beaucoup de gens qui prétendent défendre une idéologie de l’Esprit, empruntent curieusement leurs armes à l’arsenal de la Force. C’est pratiquement comme si les principes moraux, les préceptes du christianisme, qu’ils défendaient si vigoureusement cessent subitement de les intéresser lorsqu’ils ne cadrent plus avec leurs intérêts[3]. Tel serait le cas de toute religion qui, par crainte des conséquences de sa prise de position, prétend n’avoir rien à dire face aux injustices sociales dont est victime le peuple. Dans la vie publique, Claparède[4] estime par ailleurs que les continuelles éclipses de la probité entraînent : 1- la méfiance réciproque, car qui n’est pas fidèle à sa parole, éveille la suspicion ; 2- une morale de l’intérêt du moment que l’on nomme « réalisme » ; 3- un mauvais exemple donné aux jeunes, car les aînés agissent à l’encontre des principes qu’ils cherchent à inculquer à la jeunesse ; 4- et la désaffection des intellectuels pour la politique, alors qu’ils ne peuvent, dans ce contexte, conserver leur indépendance d’esprit.

Ce qui fait que des hommes bons et cultivés mettent  si  facilement  la probité en vacances est, selon Claparède[5], qu’il y a notamment, le conflit des « moi », car, dit-il, notre  moi  est  un  faisceau  de tendances diverses, qu’on peut subdiviser en deux groupes : les tendances supérieures (formant le moi supérieur, moral, réfléchi), qui visent à atteindre un idéal, et les tendances inférieures (formant le moi inférieur, instinctif, impulsif), qui se portent vers tout ce qui procure des jouissances égoïstes. Dans ce cas, l’esprit fait simplement le mort devant la menace de la vérité  comme  le  renard  à  l’approche  du danger. Dans le domaine politique, Claparède estime que les principales causes subconscientes de l’abandon de la probité sont : la peur, l’intérêt, l’esprit de parti, le conformisme, l’instinct grégaire, et parfois même, un patriotisme mal conçu.

Par conséquent, conclue cet auteur[6], à   côté   des   universitaires,   les   églises devraient être les apôtres de la probité dans la vie  politique et  sociale. En ce sens, Thomas Hobbes[7] note que ce qui ôte la réputation d'amour, c'est la découverte de buts personnels, comme quand la croyance que certains hommes exigent des autres conduit, ou semble conduire, pour ces hommes, à l'acquisition de domination, richesses, dignité, ou à leur assurer du plaisir à eux seuls ou surtout à eux.

Selon Montesquieu[8], la religion, même fausse, est le meilleur garant que les hommes puissent avoir de la probité des hom­mes. En effet, ajoute-t-il, les points principaux de la religion sont de ne point tuer, de ne point voler, d'éviter l'impudicité, de ne faire aucun déplaisir à son prochain, de lui faire, au contraire, tout le bien qu'on peut. En ce sens, il y a lieu d’affirmer que la religion constitue une instance régulatrice de la vie en société, et par conséquent, une structure allégeant la tâche de l’État. Par elle, les crimes et conflits peuvent être réduits, et la cohabitation, facilitée. C’est probablement pour cela que l’État ne s’inquiète pas face à la prolifération des confessions religieuses, étant donné qu’il s’agit de structures qui, à quelque degré, lui facilitent la tâche. Il n’y a qu’elles qui peuvent former des citoyens qui, face aux mauvaises conditions de vie, ne peuvent pas se révolter mais plutôt espérer être mieux au ciel leur promis. Elles encore qui invitent à ne point se faire justice, et à croire sans avoir vu. Cela arrange bien le politique.

Au dire de Thomas Hobbes[9], les premiers fondateurs et législateurs des Républiques parmi les Gentils dont le but était seulement de maintenir les gens dans l'obéissance et la paix, ont partout pris soin : premièrement, d'imprimer en leurs esprits une croyance qui fit qu'on ne pût penser que les préceptes qu'ils donnaient provenaient de leur propre invention, mais qu'on crût qu'ils venaient des commandements de quelque dieu ou de quelque autre esprit, ou bien qu'eux-mêmes étaient d'une nature supérieure à celle des simples mortels, afin que leurs lois pussent être plus facilement acceptées. Deuxièmement, ils ont pris soin de faire croire que les cho­ses qui déplaisaient aux dieux étaient les mêmes que celles que les lois interdisaient. Troisièmement, d'ordonner des rites, des supplications, des sacrifices, et des fêtes, et ils devaient croire que, de cette façon, la colère des dieux pourrait être apaisée. Et par ces institutions, ils obtinrent la paix dans la République.

Pour sa part, Jean-Pierre Badidike[10] rappelle que le sacré et le profane, le politique et le religieux ont le même terrain et se complètent. C’est ce qui, soutient-il, amène Georges Balandier à affirmer que les chefs charismatiques des mouvements messianiques sont ceux qui ont su lier, dans des communautés restreintes, l’engagement religieux à l’engagement pour la justice. Il en veut pour preuve : Dona Béatrice Kimpa Vita et Simon Kimbangu (en RDC), la secte Muyebe (chez les Nande), la reine Njinga (en Angola), les leaders Kitawala et Mwanda Nsemi (Bundu dia Kongo), Cheikh Ahmadou Bamba (confrérie nourride au Sénégal). Comme pour dire que tout en partant des bases religieuses, chacun de ces personnages légendaires a donné une réponse à une crise sociale, et qu’en principe, il doit en être ainsi de chaque confession religieuse. Dans le cas contraire, la religion ne servirait pas à grand-chose, étant donné que la personne humaine est corps et âme, et que, par conséquent, on ne doit se préoccuper de l’un sans l’autre qu’au risque de tomber dans un dualisme dénué de sens. La raison en est que le temporel et le spirituel sont, en principe, au service de l’homme, de la société et du bien commun. Les séparer catégoriquement c’est se condamner à une vision et une réponse parcellaires, et par conséquent, se prédisposer à ne jamais répondre aux aspirations profondes de l’être humain.

L’histoire fait cependant état d’expériences où cette conjonction a fini par tomber dans l’assouvissement des soifs temporelles, au nom de la prééminence évidente du spirituel sur le temporel. À ce sujet, dans le contexte médiéval, Thomas Hobbes[11] en arrive au questionnement suivant : Qui ne voit pas, dit-il, au profit de qui conduit le fait de faire croire qu'un roi ne tient pas son autorité du Christ, à moins d'être couronné par un évêque ? Qu'un roi, s'il est prêtre, ne peut se marier ? Que l'autorité romaine doit juger si un prince est né, ou non, d'un mariage légitime ? Que les sujets peuvent être affranchis de leur allégeance, si le roi est jugé hérétique par la cour de Rome ? Qu'un roi peut être déposé par un Pape, et son royaume donné à l'un de ses sujets ? Que le clergé et les réguliers, quel que soit le pays, seront soustraits à la juridiction de leur roi dans les affaires criminelles ?

Il est fort probable que c’est cette conjonction à la longue partisane et intéressée qui fit déboucher sur la séparation de l’Église et l’État à travers la loi de 1905, aboutissement de mesures anticléricales commencées sous la Révolution française. Ces mesures semblent, cependant, aux yeux de certains observateurs, être à la base de la dérive morale au sein des sociétés modernes : suicides faciles, terrorisme, attentat, kidnapping…, étant donné que l’interdiction d’interdire constitue la mode. La société de notre temps ne veut tolérer aucune interdiction, aucune limitation aux pulsions ; elle a difficile à comprendre qu’il y a lieu de souffrir temporairement tout en espérant à un lendemain meilleur. D’où, par exemple, la nécessité de mères-porteuses, la recherche de l’accouchement sans douleur, l’euthanasie, les mariages par essai, les divorces faciles…

Le point de départ de la loi de 1905 est que la République assure la liberté de conscience et ne subventionne aucun culte[12]. Pour Marcel Gauchet[13] qui préfère parler non de laïcité mais plutôt de « sortie de l’Église », il estime qu’il ne s’agit pas de la sortie de la croyance religieuse, mais plutôt de la sortie d'un monde où la religion est structurante, où elle commande la forme politique des sociétés et où elle définit l'économie du lien social. C’est, ajoute-t-il, le passage dans un monde où les religions continuent d'exister, mais à l'intérieur d'une forme politique et d'un ordre collectif qu'elles ne déterminent plus. C’est, mieux encore, le basculement d'une situation de domination globale et explicite du religieux à une situation qu'on pourrait dire de secondarisation et de privatisation, en relation avec cet autre phénomène typique de la modernité politique qu'est la dissociation de la société civile et de l'État.

Étant donné que la vertu se situe dans la juste mesure[14], l’exagération de part et d’autre fait pécher par excès ou par défaut[15], et implique deux extrêmes tous à éviter : d’un côté, le sécularisme, et de l’autre, le laïcisme. C’est ce qui fait dire à  Kasereka Kavwahirehi s’inspirant de Paul Valadier, qu’au lieu de continuer à réfléchir dans une opposition dépassée à bien des égards, il convient de prendre au sérieux la complémentarité de la raison et de la foi, non leur identification ou absorption de l’une par l’autre, mais la juste stimulation de l’une par l’autre dans le respect de leurs fonctions et de leurs territoires propres[16]. Pour cela, Robert Kamangala[17] prône une « saine laïcité » qui ne privilégie ni « théologisme » ni « sécularisme ». Par « théologisme » il entend un réductionnisme religieux qui limite l’action de la foi et de l’Église au camp strictement religieux, au culte, à la piété et à la doctrine. Et par « sécularisme » il entend le réductionnisme politique qui réduit l’importance de la foi et de l’Église à l’espace strictement politique. C’est cette démesure, cet extrémisme souvent vécu qui rend la coexistence des deux ordres (le spirituel et le temporel) conflictuelle. Une chose est laïcité, dit Robert Kamangala[18], une autre le laïcisme. Alors que celui-ci est une laïcité mal comprise dans la mesure où il consiste, pour un État, à se définir en opposition à toutes les religions, la laïcité par contre, détermine un État à ne favoriser aucune religion d’État. Mieux encore, à garantir la liberté de religion et d’assurer les mêmes conditions d’exercice à toute religion, en conformité avec la loi, les bonnes mœurs et l’ordre public.

Sous un autre registre, citant Ernst Bloch, Kasereka Kavwahirehi[19] fait remarquer que sous le christianisme officiel qui a trahi l’espérance des pauvres en la victoire contre l’injustice et la mort, il y a le vrai christianisme, subversif et révolutionnaire, qui inspire les révoltes et soutient l’espoir des opprimés. Cela l’amène, au nom du droit de vérité, à distinguer, sur base du contexte africain, d’une part, un christianisme instrument d’exploitation (opium du peuple), et d’autre part, un christianisme ferment révolutionnaire. Il en veut pour preuve, les prophètes africains qui, au cœur de la colonisation soutenue par le christianisme missionnaire, ont proclamé le Dieu de l’Exode qui libère les esclaves et les opprimés. C’est ce même souffle qui avait animé la mobilisation contre l’apartheid et la lutte d’émancipation des Afro-Américains.

Pour tout dire, religion et politique se doivent de coopérer, dans une relation harmonieuse qui, cependant, doit être guidée par une saine prudence devant indiquer les limites de chacune de ces sphères. Ainsi, pour s’inspirer de L’art de la guerre de Sun Tzu mais sans pour autant signifier qu’il s’agit, dans le cas typique – de la religion et la politique – , de relations d’inimitié mais plutôt de relations d’interlocuteurs, il convient de retenir cette stratégie militaire millénaire : Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toi-même, tes chances de perdre et de gagner seront égales. Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites[20]. En tant qu’interlocuteurs et collaborateurs, le politique et le religieux se doivent de se connaître et avoir une maîtrise l’un de l’autre. C’est à ce prix que leur collaboration sera fructueuse et bénéfique à la société au service de laquelle ils œuvrent. Malheureusement, l’impression est que bien souvent, c’est le politique qui semble avoir de temps en temps prise sur le religieux pour s’en servir à sa guise, pendant que ce dernier prend le politique pour une sphère « non grata », un domaine « anathème » dont il faille s’éloigner. Partant, une connaissance réciproque du politique par le religieux et du religieux par le politique, combiné à une saine et vigilante coopérations, cela constitue un atout majeur pour le développement de la société.

Dans un discours pathétique tenu par le président de la République française au cours de la soirée du 9 avril 2018 au Collège des Bernardins à l’invitation des évêques de France, Emmanuel Macron a reconnu la nécessité de réparer le lien jadis abîmé entre l’Église et l’État. Pour lui, une Église prétendant se désintéresser des questions temporelles n’irait pas au bout de sa vocation, et un président de la République prétendant se désintéresser de l’Église et des catholiques manquerait à son devoir[21]. L’exigence d’équilibre de part et d’autre se veut cependant d’une importance sans pareil. C’est ce qui manque souvent dans le rapport entre le spirituel et le temporel, aucune partie prenante n’étant totalement irresponsable de cette conflictualité. Faut-il donc scruter les Écritures Saintes pour voir ce qui y est dit du rapport entre la religion et la politique.

 

[1] Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ? Texte établi par Ursula Ludz, Traduction de l’Allemand et préface de Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Seuil, 1995.

[2] Edouard Claparède, Morale et Politique ou Les vacances de la Probité, Editions de la Baconnière, Neuchatel, 1940, Édition complétée le 13 janvier 2008 à Chicoutimi, Québec, pp.19-20.22. En ligne sur  http://classiques.uqac.ca

[3] Edouard Claparède, Morale et Politique… op.cit, p.30.

[4] ibid., pp.102-117.

[5] ibid., p.118.

[6] ibid., p.167.

[7] Thomas Hobbes, Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile. Première partie : De l’homme,  1651, Édition revue et corrigée le 12 juin 2012 à Chicoutimi, Québec, p.110. En ligne sur www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

[8] Montesquieu, De l’esprit des lois. Cinquième partie, p.31. En ligne sur http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques des sciences sociales/index.html, 06/07/2018.

[9] Thomas Hobbes, Léviathan… op.cit., pp.106-107

[10] Jean-Pierre Badidike, « Réconciliation, Justice et Paix dans les communautés ecclésiales vivantes », in Cahiers Internationaux de Théologie Pratique : L’Église et les défis de la société africaine Perspective pour la deuxième assemblée spéciale du synode des évêques pour l'Afrique, Actes des journées d’études 2008 à Louvain-la-Neuve, 2008, pp.61-62. En ligne sur www.pastoralis.org

[11] Thomas Hobbes, Léviathan… op.cit., p.111.

[12] République Française, Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, in Journal Officiel du 11 décembre 1905, art.1&2. En ligne sur www2.cnrs.fr/sites/thema/fichier/loi1905textes.pdf 

[13] Marcel Gauchet, La religion dans la démocratie : Parcours de la laïcité, Paris, Gallimard, 1998, pp.13-14.18.

[14] Thomas d’Aquin, Somme théologique : La vertu, Tome second, Traduction française par R.Bernard, Paris-Tournai-Roma, Desclée & Cie, 1934, p.80.

[15] Thomas d’Aquin, Somme théologique… op.cit., p.93.

[16] Paul Valadier cité par Kasereka Kavwahirehi, Le prix de l’impasse : Christianisme africain et imaginaires politiques, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, Éditions scientifiques internationales, 2013, p.156.

[17] Robert Kamangala Kamba, La conférence épiscopale nationale du Congo : Approche historique, compétence juridico-pastorale et engagement sociopolitique, Kinshasa, Mediaspaul, 2017, p.305.

[18] Robert Kamangala Kamba, La conférence épiscopale nationale du Congo… op.cit., p.298.

[19] Kasereka Kavwahirehi, Y’en a marre! Philosophie et espoir en Afrique, Paris, Karthala, 2018, p.217.

[20] Sun Tzu, L’art de la guerre, article III, Décembre 2003, pp.14-15). Disponible [en ligne] : <http  ://www.ifrance.com/artdelaguerreselonsuntzu 

[21] www.elysee.fr/.../transcription-du-discours-du-president-de-la-republique-devant-les-e... Organisée par la Conférence des évêques de France, une grande soirée inédite s’est tenu lundi 9 avril 2018 au Collège des Bernardins, en présence du président Emmanuel Macron et de 400 invités représentant la société civile, le monde catholique et associatif. Parlant des relations anciennes et renouvelées entre l’État et l’Église catholique, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la CEF, s’est fait le porte-voix de nombreuses préoccupations de l’Église de France : se servir des progrès scientifiques pour s’assurer une maîtrise de l’humain qui éliminerait tout ce qui peut être porteur de fragilités ; les lois de bioéthique ; la famille comme un des piliers de la vie en société ; la responsabilité dans la vigilance pour la sauvegarde des droits et la protection des plus faibles ; les errements d’une jeunesse sans repères ; des inégalités d’éducation, d’instruction, de revenus, d’accès au travail ou aux services publics se creusant au lieu de se rapprocher, alors qu’il faut une nation qui associe plutôt qu’elle n’exclut. À la suite de ce discours, Emmanuel Macron lui a répondu (cf. https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/eveques-France-invitent-Emmanuel-Macron-9-avril-2018-02-13-1200913527?from_univers=lacroix ).

La Bible et la politique

Pour justifier que les confessions religieuses ne puissent pas avoir un rôle politique à jouer au sein de la société, dans le cadre de la séparation de l’Église et l’État, bien des personnes citent les paroles de Jésus s’adressant aux pharisiens en ces termes : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Lc 20,20-26 ; Mc 12,13-17 ; Mt 22,15-22). La plupart du temps, les tenants de ce principe s'arrêtent à la première moitié de la phrase : celle qui concerne César. L'autre, portant sur ce qui appartient à Dieu, passe dans l'ombre. Par ailleurs, la Bible reconnaît que « toute autorité vient de Dieu » (Rm 13,1). Ce qui revient à dire que quiconque est investi d’une certaine autorité a des comptes à rendre à Celui de qui il la tient. Ce n’est donc pas que Dieu tienne son pouvoir de César, mais plutôt l’inverse. Par conséquent, c’est César qui a des comptes à rendre à Dieu.

Mieux encore, il sied de souligner que lorsqu’il exige de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu », le Christ affirme qu’aucun César, aucun pouvoir temporel ne saurait être le maître absolu des hommes, car à Dieu seul l’homme se donne tout entier. Le Christ s’oppose ainsi à toute adoration de César, et ramène le politique à ce qu’il est : une activité terrestre que le spirituel pénètre comme toute réalité. Distinction ne signifie pas séparation. Distingués, ces deux pouvoirs n’en restent pas moins soumis à une hiérarchie qui oblige ces deux pouvoirs à collaborer et à se compléter[1].

Pratiquement, l’amour du prochain prôné par la Bible doit déboucher sur une citoyenneté active, dans un esprit de service de la collectivité, car la foi sans les œuvres est morte. Partant, les chrétiens, par  leur  engagement  dans  la  cité,  veulent  être  témoins  du  Royaume d’amour, de justice et de paix voulu par le Christ. Cet engagement peut prendre de multiples formes : actions individuelles, engagement associatif, exercice d’un mandat politique, etc. En tout, le chrétien est appelé à être témoin du Christ, mieux, être un alter Christi, ce Christ qui, partout où il passait, faisait le bien.

Dans l’Ancien Testament, Dieu s’était réservé le droit d’organiser la vie de son peuple par la promulgation de la loi. Dans ce système, il n’y avait donc pas de distinction entre la loi civile et les lois religieuses, étant donné que la vie en société était régie par les lois religieuses données par Dieu. La seule distinction résidait dans les fonctions, car le roi occupait une fonction politique, alors que le sacrificateur occupait une fonction religieuse. Faut-il faire remarquer aussi que plusieurs personnages de l’Ancien Testament ont exercé des fonctions éminemment politiques: Moïse, David, Salomon, Joseph, Daniel, Néhémie, etc.

Dans la conception vétéro-testamentaire, le roi est le défenseur des pauvres, pour assurer au peuple la justice. C’est pourquoi les dénonciations des prophètes étaient dirigées précisément contre les manquements des rois : le prophète Élie dénonce le mal commis par Akab dont l’égoïsme avait été à la base de la mort de Nabot à cause de sa vigne qu’il lui a ravie (1 R 21) ; Isaïe prononce le malheur à ceux qui font des lois injustes (Is 10, 1-4) ; Amos prononce la condamnation d’Israël qui opprime les pauvres (Am 2, 6-8; 8, 4-8) ; Michée dénonce ceux qui détestent le bien et aiment le mal (Mi 3, 1-4).

À en croire Kasereka Kavwahirehi, dès le début, Yahweh est un Dieu politique. La raison en est que même le message prophétique est un appel à la justice sociale. Ainsi, Jésus est mort publiquement sur la Croix non pas à cause de sa vie intérieure de prière, mais à cause de son impact sur l’ordre social. Bien plus, l’histoire du salut n’est pas racontée séparément de l’histoire politique et sociale. Elle se déroule sur la scène publique et interagit avec les Pharaons, les rois et les Césars de chaque époque[2]. Partant, l’Église ne peut éviter de se joindre aux mouvements sociaux et politiques dont le but est de transformer les structures sociales et politiques injustes, sources de divisions et de violences[3].

Pour Kä Mana[4], dans les Écritures Saintes, les Prophètes assument avant tout la fonction de conscience éthique et de vigilance spirituelle face à la tentation d'oublier Dieu et de structurer la société en dehors de sa Loi, de son alliance conclue avec l'humanité. En même temps qu'ils rappellent toujours cette Loi comme le fondement du bien-être, ainsi que la confiance en Dieu comme la seule garantie de bonheur, ils s'imposent comme des esprits lucides qui lisent les signes des temps et en donnent l'interprétation au peuple. Ce travail de déchiffrement de l'état réel de la société à laquelle ils doivent toujours dire la vérité de Dieu et la réalité vécue, leur confère un autre regard sur l'existence humaine. Ils sont ceux dont la fonction est de voir loin et de donner une orientation au peuple. L’Église ne saurait, par conséquent pas, pour emprunter les termes de Benoît Awazi[5], se taire face à une pseudo-rationalité kléptocratique, thanatocratique et nécropolitique avilissant les citoyens et obscurcissant l’image de la nation face aux autres peuples du monde. Ce serait purement et simplement de la complicité condamnable.

C’est ce qui, d’ailleurs, conduit Kä Mana[6] à formuler, pour une évangélisation en profondeur, socialement et politiquement libératrice, les questions fondamentales ci-après : Qu'est-ce que l'Évangile peut nous faire être et nous faire faire pour changer la vie et transformer notre société ? À quelles actions de changement peut-il nous conduire de manière réaliste et novatrice ? Comment vivre pour que les talents du christianisme soient utilisés au maximum pour la reconstruction du continent, sans que les défauts des Églises et les péchés des chrétiens ne les paralysent dans leurs engagements pour une nouvelle société ? C’est là, nous semble-t-il, un questionnement auquel il convient de répondre de façon pratique pour faire de l’Évangile un ferment de transformation de la société de notre temps.

Dans le Nouveau Testament, le Seigneur Jésus se tient à l’écart du pouvoir politique, même si plusieurs voient en lui le Messie politique qui libèrera Israël. Malgré ce désintérêt pour la politique, il sera arrêté et crucifié pour motif religieux et politique : « roi des juifs ». De son côté, Paul s’est servi de sa citoyenneté romaine, de son droit politique pour en appeler à César afin d’être jugé par lui (Ac 25,10).

D’une manière générale, les Écritures contiennent de nombreuses références à la royauté du Christ. D’ailleurs, dès l’annonce de sa naissance, le message de l’archange apprend à la Vierge qu’elle engendrera un fils, qu’à ce fils le Seigneur Dieu donnera le trône de David, son père, qu’il régnera éternellement sur la maison de Jacob et que son règne n’aura point de fin (Lc 1,32-33)[7]. Aussi, lisant les Saintes Écritures, il ressort que Dieu recommande aux fils d’Israël ce qui suit : Recherchez le bien du pays où je vous ai déportés ; priez Yahvé en sa faveur, car de sa prospérité dépend la vôtre (Jr 29,7). Or, on ne peut promouvoir le bien du pays que si l’on s’implique, à un certain degré, dans la gestion de la chose publique sans laquelle tout n’est qu’affaire individuelle. Il est impossible de rechercher ce bien sans lever le petit doigt, tout en pensant que l’avènement de ce bien est du devoir des autres.

Faut-il noter par ailleurs, comme le fait remarquer la Doctrine sociale de l’Église[8], que Jésus refuse le pouvoir oppresseur et despotique des chefs sur les Nations (cf. Mc 10,42) et leur prétention de se faire appeler bienfaiteurs (cf. Lc 22,25), mais il ne conteste jamais directement les autorités de son temps. Ainsi, dans la diatribe sur l'impôt à payer à César (cf. Mc 12,13-17; Mt 22,15-22; Lc 20,20-26), il affirme qu'il faut donner à Dieu ce qui est à Dieu, en condamnant implicitement toute tentative de divinisation et d'absolutisation du pouvoir temporel, étant donné que seul Dieu peut tout exiger de l'homme.

Bien plus, quand le pouvoir humain sort des limites de l'ordre voulu par Dieu, il s'auto-divinise et demande la soumission absolue ; il devient alors la Bête de l'Apocalypse, image du pouvoir impérial persécuteur. Et face à un tel pouvoir, saint Jean recommande la résistance des martyrs ; de la sorte, soutient-il, les croyants témoignent que le pouvoir corrompu et satanique est vaincu, car il n'a plus aucun ascendant sur eux[9]. Il s’agit là du droit de résister, car il est légitime de résister à l'autorité dans le cas où celle-ci viole gravement et de façon répétée les principes du droit naturel[10].

Allant un peu plus loin, la Doctrine sociale de l’Église indique même les critères de l'exercice du droit de résistance. À ce sujet, il est dit que la résistance à l'oppression du pouvoir politique ne recourra pas légitimement aux armes, sauf si se trouvent réunies les conditions suivantes: 1) en cas de violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux ; 2) après avoir épuisé tous les autres recours ; 3) sans provoquer des désordres pires ; 4) qu'il y ait un espoir fondé de réussite ; 5) s'il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures[11]. Il est donc des cas où les chrétiens peuvent faire recours à une résistance armée. C’est peut-être même là le cas de ce que Saints Augustin et Thomas appellent « guerre juste » (jus ad bellum, bellum iustum)[12].

Au sujet de la liberté de parole dont jouissaient les prophètes, Spinoza[13] soutient que les prophètes, qui n’étaient rien dans l’État, par le pouvoir qu’ils avaient de distribuer les avertissements et les reproches irritaient plutôt le peuple qu’ils ne le corrigeaient, et qu’au contraire les rois, qui avaient le pouvoir de châtier, se faisaient obéir docilement. Mais les rois pieux ne purent souvent supporter les prophètes, à cause du droit dont ceux-ci étaient revêtus de se prononcer sur la justice et l’injustice de toutes choses, et de châtier même les rois pour les actions publiques ou particulières exécutées contre leur sentiment.

Dans une analyse perspicace, Francis Grob[14], parlant du Christ face à l’empire mondial de son temps, souligne que Jésus, tout en ayant compris que les autorités juives s’étaient faites complices de la domination romaine, a conçu son action comme une riposte, sans pour autant faire la guerre ni organiser une guérilla. Ainsi, ajoute-t-il, face à la quadruple stratégie d’asservissement (économique, social, psychologique et politique) du peuple par les romains, Jésus invente une stratégie de résistance et de survie. Par ailleurs, face aux stratégies d’appauvrissement et de division, Jésus rassemble une communauté de salut, de service et de solidarité. Il réintègre les exclus (péagers, impurs… cf. Mc 10,42 ; 6,33-34). Face à la stratégie de démoralisation, Jésus appelle à la foi en Dieu. Il ranime le goût de vivre et la volonté de lutter pour vivre. Face à la stratégie d’intimidation et de dissuasion, Jésus a voulu délibérément affronter la mort sur la croix. C’est ce que ses disciples avaient le plus de mal à comprendre, mais aussitôt qu’ils comprirent, ce fut le coup de foudre les conduisant à ne plus avoir peur des Romains. Pour ainsi dire, le croyant en Jésus, c’est quelqu’un qui n’a pas peur de s’opposer à la domination et d’affronter l’oppression, convaincu que les solutions résident dans le quotidien[15]. C’est ce dont témoigne la vie de divers hérauts d’un christianisme militant et de l’Évangile libérateur : Jean le Baptiste, Mgr Oscar Romero, Dom Helder Camara, le Cardinal Joseph Malula, le Père Engelbert Mveng, l’abbé Jean-Marc Ela, Julius Nyerere, Mère Thereza, Père Pedro, et il n’y a pas longtemps, John Pombe Magufuli…

Tel est le bien-fondé d’une théologie politique qui, selon Bede Ukwuije[16], s’articule en forme de critique sociopolitique des systèmes injustes et aussi en forme de propositions positives pour l’émergence d’institutions justes en vue de la construction de la Paix et de la Justice. On peut à juste titre, dit-il, critiquer la naïveté de quelques prélats quant à la complexité du jeu politique. On ne peut cependant pas leur reprocher leur courage au moment où leurs pays et leurs continents étaient en dérive. À ce niveau se situe la quintessence de la théologie critique prônée par Eboussi Boulaga[17], contre le christianisme dogmatique, c’est-à-dire, le christianisme d’extériorité poussant le néophyte à tenir pour rien la substance de sa vie et à n’estimer que ce qui est lointain, à déclarer essentiel cela dont on ne vit pas et inessentiel ce qui est la vie vécue. Quant à Kasereka Kvwahirehi, il parle d’une théologie critique et publique[18], comme option du futur. Elle consiste à déprivatiser la religion et d’engager la théologie dans le travail d’explicitation du sens public et social du message chrétien. Il s’agit, ajoute-t-il, pour tout discours religieux, de ne pas faire le jeu des pouvoirs en place en prétendant s’en tenir au plan spirituel[19] ; il s’agit aussi de montrer que l’Église ne peut remplir sa mission dans le monde en se situant en marge de la politique ou en cautionnant la politique de l’atomisation sociale[20].

C’est à juste titre que Jean Baptiste Metz[21] parlant d’une théologie du monde, précise que la critique sociale ne signifie nullement que les chrétiens aient à se retirer absolument de l’administration du pouvoir politique. Ce retrait de principe serait, le cas échéant, un acte contraire à la charité chrétienne à l’égard du prochain. Dans la mesure où la foi est l’amie de l’ordre, ne pas s’impliquer dans l’organisation, dans la mise en ordre des structures de la société, serait une démission de la part des chrétiens. Et cette démission ferait d’eux des complices de la misère du peuple.

En d’autres termes, une théologie authentique est en devoir de réfléchir sur les réalités contextuelles de ceux qui la font, et interpréter la parole de Dieu en relation avec ces réalités-là, pour le bien de ceux à qui elle est destinée, pour une spiritualité authentique et agissante. Dans le cas contraire, ce serait une théologie désincarnée, et socialement sans objet. En effet, c’est non sans raison qu’un apôtre insiste sur la foi combinée aux œuvres, deux aspects devant aller de pair, pour un christianisme vrai. Ces œuvres doivent consister à promouvoir le mieux-être de la société toute entière.

Toutefois, la Déclaration Dignitatis humanae du Concile Vatican II[22] précise que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. De même, la Constitution Gaudium et Spes[23] précise que sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Église sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes. Mais, précisent les Pères conciliaires, toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Par conséquent, elles exerceront d’autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles rechercheront davantage entre elles une "saine coopération", en tenant également compte des circonstances de temps et de lieu. Il s’agit donc là d’une collaboration respectueuse et contextuelle ne devant viser que la promotion du vrai, du juste et du bien commun.

S’inspirant de l’œuvre de Jean-Marc Ela dont le mobile était de découvrir et utiliser la force subversive et le potentiel libérateur de l'Évangile[24] dans une Église souffrant d'énormes difficultés pour redéfinir sa mission à partir des pauvres et des victimes de l'injustice[25], Bede Ukwuije[26] affirme que l’Église ne peut éviter d’intervenir dans la cité quand l’homme est menacé dans sa vie et sa dignité. En effet, le libérateur c’est le Christ, visage du Dieu d’Israël. C’est celui qui a fait siens les combats des prophètes contre les fausses répartitions des biens et contre l’inégalité des droits dans la société de leur temps. C’est celui qui a annoncé le règne de Dieu, la fin de la souffrance des pauvres et la libération des opprimés.

Au fait, J.Cardonnel & A.Esposito ont raison de dire que la Bonne Nouvelle ne ménage pas les exploiteurs qui sécrètent la sous-humanisation. Raison pour laquelle l’Évangile passe par la résistance des pauvres en vue du plus-être. Et cette lutte n’a de sens que si les opprimés, au cours de leur mouvement, ne deviennent pas à leur tour des oppresseurs mais des révélateurs de l’humanité dans les deux camps[27]. En d’autres termes, face aux colporteurs des grâces et bénédictions au dos des fidèles en quête de délivrance, il convient que l’Évangile libère de ce joug sans pour autant transformer les quémandeurs des bénédictions en futurs colporteurs faisant la marchandisation de Dieu.

C’est pour cela que, comme l’atteste Léon de Saint Moulin[28], le contenu des messages des évêques est et a été la promotion des valeurs aptes à soutenir l’espérance et l’engagement pour la défense et la promotion du bien commun : les droits de l’homme avec un fort accent sur les droits sociaux, la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale, l’unité dans la diversité, l’État de droit et une vraie démocratisation. Au nom des valeurs qu’elle promeut, l’Église a en outre senti le devoir et le droit de dénoncer les injustices, les mécanismes et les principes qui y conduisent. La Sainte Tradition en est parsemée d’exemples, comme le prouvent les lignes suivantes.

 

[1] Boniface, « L’Eglise et le pouvoir temporel : une mise au point », en ligne sur www.lerougeetlenoir.org/contemplation/les-contemplatives/l-eglise-et-le-pouvoir-temporel-une-mise-au-point

[2] Kasereka Kavwahirehi, Le prix de l’impasse… op.cit., p.281.

[3] Ibid., p.282.

[4] Kä Mana, La nouvelle évangélisation en Afrique, Paris-Yaoundé, Éd.Karthala & Éd.Clé, 2000, p.189.

[5] Benoît Awazi Mbambi Kungua, De la postcolonie… op.cit., p.169.

[6] Kä Mana, La nouvelle évangélisation… op.cit., p.72.

[8] Conseil Pontifical "Justice et Paix", Compendium de la doctrine sociale de l'Église, Libreria Editrice Vaticana, 2004, n°379. En ligne sur www.vatican.va/roman.../pontifical.../rc_pc_justpeace_compendio-dott-soc_fr.html

[9] Conseil Pontifical "Justice et Paix", Compendium… op.cit., n° 382.

[10] ibid., n° 400.

[11] ibid., n° 401.

[12] Frank Bourgeois, « La théorie de la guerre juste : un héritage chrétien ?  », in Études théologiques et religieuses, 2006/4 (Tome 81), en ligne sur https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2006-4-page-449.htm

[13] Spinoza, Traité théologico-philosophique, Traduit par E.Saisset, 1842, en ligne sur www.spinozaetnous.org

[14] Francis Grob, « Jésus et le politique ou le Christ face à l’empire mondial de son temps », in Kä Mana (Dir), Théologie du bonheur partagé : Une réponse de l’Église africaine face au défi de la mondialisation, Douala, CETA-FUACE-CEROS, Editions SHERPA, 2001, pp.72-79.

[15] Père Pedro, Combattant de l’espérance : Autobiographie d’un insurgé, Paris, éditions Jean-Claude Lattès, 2005, p.12.

[16] Bede Ukwuije, « Existe-t-il une théologie politique en Afrique ? », in Revue Laval théologique et philosophique, Volume 63, Numéro 2, juin, 2007, en ligne sur https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2007-v63-n2-ltp1952/016786ar/

[17] Eboussi Boulaga cité par Kasereka Kavwahirehi, Y’en a marre… op.cit., p. 223.

[18] Kasereka Kavwahirehi, Le prix de l’impasse… op.cit., p.265.

[19] Ibid., p.269.

[20] Ibid., p.279.

[21] Jean Baptiste Metz cité par Bede Ukwuije, op.cit.

[22] Vatican II, « Dignitatis Humanae: Declaration on Religious Freedom », n° 2, in The Documents of Vatican II, Vatican City, The Vatican Publishing House, 1965. Electronic version 2014. Available at http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council.

[23] Vatican II, « Gaudium et Spes: Pastoral Constitution on the Church in the Modern World », n°76, §3, in The Documents of Vatican II, Vatican City, The Vatican Publishing House1965. Electronic version 2014. Available at http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council.

[24] Yao Assogba, Jean-Marc Ela, Le sociologue et théologien africain en boubou : Entretiens, Paris, L’Harmattan, 1999, p.84. En ligne sur http://classiques.uqac.ca

[25] Yao Assogba, Jean-Marc Ela… op.cit., p.84.

[26] Bede Ukwije, op.cit.

[27] Jean Cardonnel & Aimé Esposito-Farèse, César et Jésus-Christ, Paris, Albin Michel, 1976, p.15.

[28] De Saint Moulin L., « Que penser des interventions de l’Église catholique en matière politique ? », in Congo-Afrique, 523, Kinshasa, CEPAS, 2018, p.212.

Sainte Tradition et politique

Au terme de son propos sur la paix entre les nations, le saint Pape Jean XXIII formula des directives pastorales dont la toute première concernait le devoir de participer à la vie publique. A ce sujet, il invitait à la participation active à la gestion des affaires publiques, afin de contribuer à promouvoir le bien commun de toute la famille humaine[1]. Néanmoins, pour Benoît XVI[2], l’Église ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l’État. Mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l’écart dans la lutte pour la justice. La société juste ne peut être l’œuvre de l’Église, mais elle doit être réalisée par le politique. Toutefois, conclue-t-il, l’engagement pour la justice, travaillant à l’ouverture de l’intelligence et de la volonté aux exigences du bien, intéresse profondément l’Église. Ce dernier point de vue semble cependant quelque peu flou, prêtant à confusion, comme si l’Église, soufflant du chaud et du froid, se trouvait des excuses face à ses responsabilités sociales, si elle estime qu’il n’est pas de sa responsabilité d’édifier une société juste. Si la société juste ne peut être l’œuvre de l’Église, quel serait alors le rôle social de cette dernière ? Le risque est de tomber ici dans le « poncepilatisme » cherchant à dédouaner l’institution religieuse et rejetant toute la responsabilité au politique.

Benoît XVI[3] ajoute que d’une part, l’ordre juste de la société et de l’État est le devoir essentiel du politique, si bien qu’un État qui ne serait pas dirigé selon la justice se réduirait à une grande bande de vauriens. Par ailleurs, l’État ne peut imposer la religion, mais il doit en garantir la liberté, ainsi que la paix entre les fidèles de différentes religions. D’autre part, l’Église comme expression sociale de la foi chrétienne a son indépendance et, en se fondant sur sa foi, elle vit sa forme communautaire, que l’État doit respecter. Les deux sphères sont distinctes, mais toujours en relation de réciprocité complémentaire. Au vu de ce qui précède, il reste inconcevable que seul l’État endosse la responsabilité de l’ordre juste. L’Église et l’État doivent plutôt tous deux, assumer cela, en réussite comme en échec. Ce n’est pas pour rien qu’en principe, l’ordre spirituel prime sur l’ordre temporel, étant donné que le premier est transcendantal alors que le second est de type humain et terrestre.

Bien que, comme le laisse croire Louis de Naurois[4], Jésus-Christ ait fondé une Église distincte de l’État, César refusa de reconnaître son incompétence en matière spirituelle. C’est pour cela que les chrétiens vécurent dans l’illégalité pendant trois siècles, jusqu’à la libération du culte reconnu par Constantin à travers l’édit de Milan en 313. En 380, Théodose déclara le christianisme seule religion de l’Empire. Quant à Charlemagne, il tint l’Église en son pouvoir. Au Moyen-Âge, le pouvoir de l’Église fut plus puissant que celui du temporel. Par la suite cependant, il y eut un certain affrontement du spirituel et du temporel. Cela déboucha sur la « Querelle des Investitures » (Grégoire VII contre Henri IV au XIè s), et plus tard, sur des principes juridiques selon lesquels la puissance temporelle est distincte et indépendante de la puissance spirituelle. Dans ce sens, au XVIIè s, aucune décision pontificale ne pouvait être exécutoire en France que munie de l’approbation de l’autorité royale, jusqu’à la loi de 1905 influencée par la philosophie des Lumières et la Révolution française. Faut-il noter par ailleurs que la séparation du spirituel et du temporel implique l’incompétence de l’un dans le domaine de l’autre. Néanmoins, cette séparation entraîne parfois des « conflits de lois », surtout lorsque l’un interdit ce que prescrit l’autre. Tel par exemple, face à un citoyen anémié qui refuse de se faire perfuser au nom de sa foi, ou quelqu’un voulant mettre fin à sa vie par euthanasie suite à l’atrocité des douleurs qu’il connaît.

Il convient de noter que les historiens qui se sont penchés sur les relations Église-État en Afrique noire identifient en général trois périodes. D’abord la période allant du début de colonisation, qui dans la plupart des cas coïncidait avec l’évangélisation de l’Afrique noire, jusqu’au milieu des années 1940. Pendant cette première période, l’Église catholique, dominée par un clergé occidental face à des colons occidentaux, prête main-forte à l’œuvre de « civilisation », surtout dans les domaines de l’éducation et de la santé, tout en faisant avancer la cause de l’évangélisation. Ensuite, entre 1960 et 1990, les Églises locales s’adaptent aux régimes monolithiques selon la situation de chaque pays. Mais en général, sauf dans les pays ayant flirté avec le communisme, la collaboration se poursuit dans les domaines de la santé et de l’éducation. Là où les gouvernants, obsédés par la dérive autocratique, ne peuvent obtenir le soutien explicite de l’épiscopat, l’Église est soigneusement confinée dans ses missions religieuses et sociales. Enfin, à partir des années 1990, à la faveur du vent démocratique, les Églises locales redécouvrent leur rôle public et reprennent la parole sur les questions sociales et politiques. Dans certains pays, le clergé est sollicité pour jouer un rôle majeur dans les conférences nationales souveraines, véritables outils d’arbitrage et de transition : le Cardinal Monsengwo Pasinya en RDC ; feu Mgr de Souza au Bénin ; feu Mgr Ernest Kombo au Congo-Brazzaville. Après le premier Synode des évêques africains en 1994, le pape Jean Paul II recommande dans Ecclesia in Africa, la création des commissions "Justice et Paix", lesquelles vont donner un espace d’expression au laïcat sur les questions sociales et politiques. C’est dans ce contexte qu’intervint le second Synode pour l’Afrique qui a produit Africae munus[5].

À travers ce document, le Pape Benoît XVI[6] fait constater que de nombreux décideurs, tant politiques qu’économiques, prétendent ne rien devoir à personne, si ce n’est qu’à eux-mêmes. Ils estiment n’être détenteurs que de droits et ils éprouvent souvent de grandes difficultés à grandir dans la responsabilité à l’égard de leur développement personnel intégral et de celui des autres. C’est pourquoi, conclut-il, il est important de susciter une réflexion sur le fait que les droits supposent des devoirs sans lesquels ils deviennent arbitraires. Les lignes qui suivent abordent les relations entre l’État congolais et l’Église catholique.

Église congolaise et politique

À travers Gaudium et Spes, les Pères conciliaires ont reconnu que les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps (…) sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur[7]. C’est consciente de cela que l’Église catholique, en fonction des contextes, à travers l’épiscopat, se prononce au sujet des problèmes de société, comme c’est le cas en RDC dont la conférence épiscopale est l’une des plus actives en Afrique. Il arrive aussi à d’autres confessions religieuses (protestante, musulmane, kimbanguiste, églises de réveil) de se prononcer, surtout en période pré et post-électorale trouble ou peu rassurante.

Comme on peut bien le lire dans la Constitution[8], la RDC est un État laïc. Faut-il cependant, pour ce faire, se rassurer du contenu du concept « laïc ».  Étymologiquement parlant, le terme laïcité provient du grec laïkos (commun, du peuple), par opposition au terme klérikos (clerc), qui désigne les institutions religieuses. Et pour Ernest Renan, la laïcité c’est « l’état neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l’église à lui obéir sur ce point capital.» [9]

Pour Jean Rivero, la laïcité ne peut s’entendre que dans un seul sens, celui de la neutralité religieuse de l’État. Quant à Daniel Martin, il estime que la laïcité est un principe de séparation, dans un pays, de la société civile et de la religion ; par extension, c'est aussi une politique de neutralité des lois et institutions de l'État par rapport à toute philosophie et toute origine ethnique. En ce sens, les religions ne s’immiscent pas dans le fonctionnement des pouvoirs publics et les pouvoirs publics ne s’ingèrent pas dans le fonctionnement des institutions religieuses[10].

Aussi, la Constitution de la RDC stipule-t-elle que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, seule ou en groupe, pourvu que soient respectés la loi, l’ordre public, les bonnes  mœurs et les droits d’autrui[11]. Il en est de même de la liberté d’expression, du droit à l’information, de la liberté de réunions pacifiques et sans armes[12]. Il y est en même temps signifié que nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal, et que tout individu, tout agent de  l’État  est  délié  du  devoir  d’obéissance,  lorsque  l’ordre  reçu  constitue  une atteinte manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques et des bonnes mœurs[13].

Néanmoins, la situation post décembre 2016 en RDC fait état de violations flagrantes des droits ci-haut indiqués. Ce qui a conduit à des violences, et même à des pertes en vies humaines tant du côté des manifestants que des agents de l’ordre. C’est, en effet, pour éviter un tel chaos que le Gouvernement avait alors sollicité les bons offices de la CENCO, pour une issue apaisée entre Majorité Présidentielle et Opposition au pouvoir. Il en résulta l’Accord du 31 décembre 2016, contresigné par six membres de la Majorité présidentielle, un membre de l’Opposition républicaine, six membres de l’Opposition politique, trois membres de la Société civile, seize participants non signataires de l’Accord politique du 18 octobre 2016, et deux médiateurs venus de la présidence de la CENCO[14].

En marge de la marche pacifique organisée par le Comité Laïc de Coordination le 31 décembre 2017, suite à l’expiration du mandat du gouvernement, les propos du Cardinal Monsengwo font état de la dénonciation et la condamnation des agissements de prétendus vaillants hommes en uniforme qui traduisent ni plus ni moins la barbarie (empêcher les fidèles de participer à la messe ; jet de gaz lacrymogènes pendant la messe, vol et tirs à bout portant). Il convient, selon lui, que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règnent la paix et la justice. En effet, ajoute-t-il, comment peut-on faire confiance à des dirigeants incapables de protéger la population, de garantir la paix, la justice et l’amour du peuple ? En voulant pour preuve, l’accaparement des richesses et le maintien au pouvoir par des méthodes anticonstitutionnelles, il émit le vœu d’un Congo des valeurs et non d’antivaleurs[15].

Sous ce même registre, le rapport réalisé par la Commission d’Enquête Mixte créée par Mme le Ministre des Droits Humains suivant l’Arrêté ministériel n° 001/CAB/MIN/DH/2018 du 1er février 2018 sur les allégations des violations et atteintes relatives aux droits de l’Homme en lien avec les manifestations du 31 décembre 2017 et 21 janvier 2018 révèle que les types de violations et d’atteintes aux droits de l’Homme les plus enregistrées étaient : les violations aux libertés d’association, de réunion et de manifestation ; les violations à la liberté d’expression et d’opinion ; les violations et atteintes au droit à la vie, à la sécurité de la personne humaine ; les violations et atteintes à la propriété privée ; les pillages, destruction méchante, intolérance, incitation  à la haine et à la violence[16]. Il fut recensé quatorze morts à savoir, sept le 31 décembre 2017 et sept le 21 janvier 2018 dont 12 par balles et deux par asphyxie des gaz lacrymogènes[17]. Cette commission recensa également quarante  cas  de  personnes  arrêtées,  détenues, torturées  et/ou  soumises  aux  traitements  cruels,  inhumains  et  dégradants  à l’occasion des manifestations du 31 décembre 2017 et 21 janvier 2018 dont deux femmes[18].

Toutefois, au regard de points de vue du commun des mortels dans le contexte congolais, il se lisait sur le visage et la bouche de bon nombre de fidèles, une certaine désapprobation vis-à-vis de la prise de position politique des membres de l’Église (hiérarchie ou association de fidèles) face à la nouvelle mandature ostensiblement hors norme. Cela se lisait même dans la mise en application des stratégies visant à faire pression aux gouvernants sous l’égide du Comité Laïc de Coordination (CLC). Il était, de temps en temps, bien clair que certaines régions ecclésiales, semble-t-il, pour des raisons sécuritaires, observaient une « sainte prudence » frisant la tiédeur et la trahison quant à la décision commune de la CENCO, si bien que des bouches parlaient – peut-être sans raison –, de la « division » au sein de l’Église catholique congolaise. Cela se justifiait par le silence et la réticence face aux actions communément planifiées au niveau de la CENCO. Parfois, même la simple organisation de prières circonstancielles prévues à ce sujet tombait dans l’indifférence totale ; parfois aussi, des laïcs engagés dans les actions des groupes de pression ont été indexés, alors qu’en réalité, ils ne faisaient que traduire le souhait des Pères évêques dont les déclarations sont suggestives, comme on peut bien le lire à travers : « Trop c’est trop », « ne pas décevoir les attentes de la nation », « la foi dans l’avenir du Congo », « protégeons notre nation » ; « le Congo nous appartient » ; « le pays va très mal. Debout congolais ! » ; « sauvons le processus électoral », « allons vite aux élections… » Peut-on protéger, défendre, se mettre debout, réclamer sans pour autant se mettre en action ou sans s’impliquer effectivement dans des groupes de pression et des mouvements citoyens visant la transformation sociale ? Le risque est là, de vouloir ou de proposer une chose et son contraire, contre le principe de non contradiction !

Dans un point de presse tenu par le Président de la RDC le 26 janvier 2018, une phrase est restée célèbre : « Rendez à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu... Jésus-Christ n'a jamais présidé une commission électorale. »[19] Face à ces propos, Stanislas Longonga, réagit en ces termes : Jésus répondait juste à une question qui consistait à savoir s'il fallait payer l'impôt instauré par les Romains ou non. Il n'a jamais déclaré que les chrétiens ne devaient jamais se prononcer sur la gestion de la chose publique. Jean-Baptiste n'avait-il pas dénoncé l'immoralité d'Hérode ? Jésus lui-même, n'avait-il pas traité Hérode de "renard" ? N'avait-il pas rétabli l'ordre dans le temple en chassant les vendeurs qui opéraient pour le compte des gouvernants de l'époque ? Le Prophète Nathan, n'avait-t-il pas reproché durement David d'avoir fait assassiner Urie après avoir commis l'adultère avec sa femme ? Le prophète Amos n'a-t-il pas prêché la justice sociale contre une situation d'injustice sous le roi Jéroboam II ? Le prophète Elie, n'avait-il pas blâmé le roi Achab pour avoir assassiné le pauvre citoyen Nabot pour s'emparer de sa vigne ? Dans la Bible, à côté du roi qui devait exprimer la volonté de Dieu, il y avait toujours un prophète pour veiller à la juste expression de cette volonté. L'Église est dans son rôle prophétique, soutient-il. Pour finir, le bibliste, sur un ton interrogatif, se demande : Pourquoi César a-t-il fait recours à la CENCO pour faciliter un dialogue "politique" ? Pourquoi César a-t-il accepté des hommes de Dieu (un prêtre d'abord, un pasteur ensuite) à la tête de la Commission Électorale ? [20].

Ce point de vue se fonde sur le danger consistant non pas à servir Dieu mais plutôt à se servir de Lui, selon les goûts de ceux qui invoquent ses paroles non en fonction de ce qu’elles sont mais plutôt, en raison de ce qui les arrangent, sur base de leurs propres intérêts visant à former une minorité détenant le savoir, le pouvoir et l’avoir[21] permettant de dominer symboliquement sur le reste du peuple. L’analyse des faits et gestes des acteurs politiques africains, soutient Jean-Claude Angoula, fait apparaître l’image de Dieu s’affirmant dans les apparences sensibles. Il s’agit, fait-il remarquer cependant, d’un Dieu dont ils attendent qu’il corresponde à leurs idées de pouvoir, de justice, de l’avoir et de victoire sur l’adversaire[22]. En effet, derrière Dieu, il y a sinon l’innocent, l’homme sincère et franc, du moins la victime que veut apparaître l’acteur politique dans le combat qui l’oppose à son adversaire[23]. C’est là une fourberie qui ne dit pas son nom. On se sert de Dieu comme d’un timbre-poste ne correspondant pourtant pas à la réalité du contenu du courrier.

Pour sa part, le Pasteur Jean-François David Ekofo, à l’occasion du culte en mémoire du héros national Laurent Désiré Kabila, devint plus explicite en ces termes : « la terre appartient à Dieu, et il a donné sa gestion à l’homme. La RDC appartient à Dieu, mais ce dernier a confié sa gestion aux Congolais. C’est donc nous qui rendrons compte à Dieu de la gestion de cette république. Quel pays allons-nous léguer à nos enfants et petits-enfants ? C’est doit, avant tout, être un pays uni »[24] conclue-t-il.

En commençant son propos, David Ekofo dit : « J’aime bien l’athlétisme où il y a des courses à pieds surtout. Et, j’aime spécialement une course : la course de relais où une personne transmet le bâton à une 2ème personne, à une 3ème et à une 4ème... Dans l’histoire du pays, c’est pareil aussi. Nous prenons un témoin que nous passons aux autres… Dieu nous a donné un pays des plus riches. Dieu lui-même ne comprend pas pourquoi nous les Congolais nous sommes pauvres... »[25] La médiocrité dont avait parlé le Cardinal, David Ekofo la rend plus explicite : la pauvreté manifeste, en dépit des richesses naturelles dont regorge le Congo ; l’absence d’auto-suffisance alimentaire ; l’importation de tous les biens de première nécessité, même à manger ! la non-existence réelle et effective de l’État ; l’inégalité devant la loi ; la difficile libre circulation (enclavement), faute de routes interprovinciales ; et la faiblesse stratégique actuelle du Congo[26].

Par la suite, des représentants d’autres confessions religieuses se prononcèrent aussi, notamment quant à la marche pacifique qui était prévue par le Comité Laïc de Coordination d’abord le 21 janvier 2018 puis le 25 février 2018. Le Collectif des chrétiens des églises de réveil affirma nécessaire de s’unir à cette initiative pour « sauver ce qu’il y avait encore à sauver, c’est-à-dire, la patrie »[27]. Il en fut de même de certains musulmans. De ce qui précède résulte des défis qu’il convient de relever, comme nous le montre la section ci-après.

À la suite des élections controversées du 31 décembre 2018, la situation ne manqua pas de soulever des inquiétudes de la part du peuple et de l’épiscopat congolais, même après la passation dite « civilisée » du 24 janvier 2019. La coalition qui donna lieu à ce virage ne tarda pas à révéler que du vin nouveau avait été mis dans de vieilles outres. Raison pour laquelle, se demandant sans cesse « la coalition pour quel but », la CENCO ne cessa pas de lancer des alertes et d’indiquer des orientations de temps en temps, comme l’attestent quelques messages et déclarations ci-après :

  • Le 27 juin 2020, la CENCO fit une déclaration faisant état du risque de débordement de la violence, la déconnexion des intérêts et du bien-être du Peuple, des lois taillées sur mesure, le risque d’atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire, et la gestion chaotique des élections.[28]
  • À l’occasion de la célébration de 60 ans d’indépendance  le 30 juin 2020, le Cardinal Ambongo ne manqua pas de fustiger la succession des régimes autocratiques ; la culture de l’impunité pour les grands ; l’inviolabilité du territoire pas garantie ; le projet de balkanisation du Congo toujours à l’ordre du jour ; et la coalition FCC- CACH foulant au pied la volonté du peuple.[29]
  • Le 12 octobre 2020, la CENCO publiait un message interpellateur invitant les Congolais à ne pas se laisser voler leur souveraineté. Les évêques y insistaient sur : le blocage du fonctionnement des institutions étatiques, les calculs de positionnement, l’obsession du pouvoir pour le pouvoir, la stratégie de dépeuplement par les massacres, et des partis politiques se substituant aux services étatiques.[30]
  • Le 9 novembre 2020, la CENCO adressa un mémorandum au Président de la république dans le cadre des concertations nationales initiées par lui. À travers ce document, ils proposaient notamment l’évaluation de la coalition, la nécessité d’une solution politique respectueuse du peuple congolais, la dépolitisation et le renforcement de l’indépendance des membres du bureau de la CENI.[31]
  • Le 25 février 2021, la CENCO recommandait que soit privilégié le bien-être de la population et la cohésion nationale. Ainsi, soulignaient les évêques, l’adhésion massive à l’Union Sacrée de la Nation ne devait pas seulement être motivée par le positionnement politique. En même temps, leur préoccupation soulignait la nécessité de motiver les enseignants pour un enseignement de qualité, tout en fustigeant les massacres, les enlèvements et le déplacement des populations, sans oublier l’écart entre le vécu quotidien et les promesses faites.[32]

Tous ces propos révèlent que l’évangile ne saurait être prêché aux peuples en dehors du contexte qui est leur. Ce contexte implique que cette Bonne Nouvelle tâche de les libérer de leurs angoisses et de leurs souffrances quotidiennes qui font d’eux des enfants de Dieu en captivité.

 

[1] Jean XXIII, Pacem in Terris : La paix entre les nations, fondée sur la vérité, la justice, la charité, la liberté, Encyclique du 11 avril 1963, Paris, Centurion, 1963, n° 146.

[2] Benoît XVI, Lettre encyclique Deus Caritas est : aux évêques, aux prêtres et aux diacres, aux personnes consacrées et à tous les fidèles laïcs sur l'amour chrétien, Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2005, n° 28, §6. En ligne sur http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/encyclicals/documents/hf_ben-xvi_enc_20051225_deus-caritas-est_fr.

[3] Benoît XVI, Lettre encyclique Deus Caritas… op.cit., n°28a

[4] Louis de Naurois, « Laïcité », in Encyclopaedia Universalis, Corpus 10, Paris, Encyclopaedia Universalis France, 1985, pp.925-926 ; 929.

[5] Ludovic Lado, « Le rôle public de l’Église catholique en Afrique », en ligne sur  https://www.cairn.info/revue-etudes-2012-9-page-163.htm    

[6] Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale « Africae munus », sur l'Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix, Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2011, n°82.

[7] VATICAN II, Constitution pastorale « Gaudium et Spes ». L’Église dans le monde de ce temps, Traduction élaborée par les soins de l’Épiscopat français, Paris, Spes, 1966, n°1, p.55.

[8] Cabinet du Président de la République, Constitution de la République Démocratique du Congo, Modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 (Textes coordonnés), in Journal officiel de la République Démocratique du Congo, Numéro spécial, 52ème Année, Kinshasa, 2011, art. 1er.

[10] Ibid.

[11] Cabinet du Président de la République, Constitution… op.cit., art.22.

[12] Ibid., art.23-25.

[13] Ibid., art.28.

[14] RDC, Dialogue National Inclusif, Mission de Bons Offices de la CENCO, Accord politique global et inclusif du centre interdiocésain de Kinshasa, 2016. En ligne sur cenco.cd/.../ACCORD-POLITIQUE-GLOBAL-ET-INCLUSIF-31-Dec-2016-VERSIO

[15] Déclaration de S.E. Laurent Cardinal Monsengwo après la marche du 31 décembre 2017 : « Que les médiocres dégagent ». Dans ce même ordre d’idées, un communiqué de la Nonciature Apostolique avait reconnu que les données recueillies révélaient que la réaction des Forces de sécurité était « disproportionnée » et n’avait pas respecté le caractère pacifique de la marche. Plus d’un observateur ont noté cependant que l’histoire politique de la RDC présageait deux camps au sein de l’Église catholique : celle de l’Ouest et celle de l’Est, compte tenu des nuances de positions prises par les Pasteurs, l’une des preuves étant la prise de position vis-à-vis de la marche du 31 décembre 2017, et même celles du 21 janvier et du 25 février 2018. Un côté a encouragé tandis qu’un autre ne semblait pas être de cet avis, principalement, pour des « raisons de sécurité » liées au contexte. D’autres ont estimé cependant que l’Église n’était pas « divisée », mais qu’elle était plutôt « partagée » sur la manière de faire (cf. Laurent Larcher du Journal La Croix). Dans tous les cas, cela porte à penser.

[16] Ministère des Droits Humains de la RDC (Commission d’Enquête Mixte 3121), Enquête sur les violations et atteintes relatives aux droits de l’homme en lien avec les manifestations du 31 décembre 2017 et 21 janvier 2018 à Kinshasa : Rapport synthèse, Kinshasa, 10 mars 2018, p.4.

[17] Ministère des Droits Humains de la RDC, Enquête sur les violations… op.cit., p.13.

[18] Ibid., p.14.

[19] cf. Point de presse du Chef de l’État Joseph Kabila Kabange le 26 janvier 2018 à Kinshasa ; en ligne sur www.youtube.com

[20] Stanislas Longonga, Une clarification sur cette exhortation : " Rendez à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu... Jésus-Christ n'a jamais présidé une commission électorale". (cf. Point de presse de M. Kabila). Message consulté sur Whatsapp le 29 janvier 2018.

[21] Jean Cardonnel & Aimé Esposito-Farèse, César et Jésus-Christ, Paris, Albin Michel, 1976, p.246.

[22] Jean-Claude Angoula, « Quand Dieu se fait politique.  Contribution à l’étude des représentations de Dieu dans l’espace public africain », in Awazi Mbambi Kungua B. (Dir.), Dieu et l’Afrique : Une approche prophétique, émancipatrice et pluridisciplinaire, Afroscopie VI/2016 (Revue savante et pluridisciplinaire sur l’Afrique et les communautés noires), Paris, L’Harmattan, 2016, p.105.

[23] Ibid.

[24] Sermon à l’occasion du culte en mémoire de Mzee Laurent Désiré Kabila, le 16 janvier 2018 en la Cathédrale du centenaire à Kinshasa. En ligne sur https://www.youtube.com/watch?v=LLzFxQiZC-I  

[26] Sermon à l’occasion du culte en mémoire de Mzee Laurent Désiré Kabila… op.cit.

[28] CENCO, Qui sème le vent récolte la tempête. Déclaration du Comité Permanent de la CENCO sur la situation tendue relative aux propositions des lois sur la réforme judiciaire et à la désignation des membres de la CENI, Kinshasa, le 27 juin 2020.

[29] Fridolin Ambongo (card.), Homélie de Son Eminence Fridolin Cardinal AMBONGO BESUNGU, Archevêque Métropolitain de Kinshasa, le 30 juin 2020 à l’occasion du 60ème anniversaire de l’Indépendance de la RD Congo

[30] CENCO, Peuple congolais, ne nous laissons pas voler notre souveraineté ! Réveillons-nous de notre sommeil pour un engagement citoyen, Message de la 57ème Assemblée Plénière des évêques membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo, Kinshasa, le 15 octobre 2020.

[31] CENCO, Mémorandum de la Conférence Episcopale Nationale du Congo à l’occasion des consultations nationales initiées par le Président de la République, Félix Antoine Tshisekedi, Kinshasa, le 9 novembre 2020.

[32] CENCO, Message du Comité Permanent des évêques membres de la CENCO : Déchirez vos cœurs et non vos vêtements. Le Peuple attend toujours, Kinshasa, le 25 février 2021.

Défis politiques de l’Église congolaise[1]

Il s’agit, à ce niveau, de jeter un regard lucide devant indiquer des obstacles au rôle social de l’Église en RDC, étant donné que la responsabilité du changement social incombe tant à l’ordre temporel qu’à l’ordre spirituel. Cela s’inspirera du fait qu’aimer l’Église n’est nullement pas être aveugle pour les failles qu’elle présente[2], comme le reconnaît Mgr Bakole Wa Ilunga. Heureusement qu’il y a moins de failles que de réussites. Et il s’agit ici de réfléchir de façon à indiquer ce qu’il convient de faire pour consolider les forces et transformer les faiblesses en opportunités d’action pour faire de l’Église et la Bonne Nouvelle dont elle est messagère, des forces de transformation, à tous points de vue, du monde de notre temps.

« E pur, si muove ! » (Et pourtant elle tourne !), disait Galilée, à l’heure de sa condamnation. Et son supplice ne fit pas à ce que ne tourne plus la terre. Les générations suivantes lui en savent gré, et au nom de l’Église, le Saint pape Jean Paul II a, à l’occasion du Jubilé de l’an 2000, officiellement demandé pardon au nom de l’Église pour cette condamnation gratuite. La vérité reste donc vérité même si personne n’y croit, et la fausseté demeure fausseté même si tout le monde y croit. Le devoir citoyen de contribuer à la bonne marche de la gestion de la chose publique reste un devoir sacré dévolu tant aux individus qu’aux organisations. Bien que toute vérité ne soit pas bonne à dire, toute vérité est-elle bonne à taire pour autant ? Il convient, néanmoins, que l’on y aille avec un certain tact, puisque venant de certaines bouches, la vérité elle-même a mauvaise odeur, comme l’affirme un sage.

C’est conscient de cela qu’Ignace Ndongala Maduku[3] affirme que le bateau-Congo n’avance pas, et qu’il ne coule pas non plus. Il est, ajoute-t-il, pris en charge par des remorqueurs divers (Monusco, Banque mondiale, Club de Paris, Club de Londres, Amis du Congo…) qui se pressent et s’empressent à son secours. Ils le tirent dans toutes les directions, au gré des intérêts inavoués des différents remorqueurs. Ne convient-il donc pas une certaine clairvoyance pour éviter des mobilisations démobilisatrices ? se demande-t-il enfin.

Le danger que courent les églises chrétiennes c’est, pour paraphraser Claparède[4], de donner en exemple le Crucifié, mais de mourir de peur d’être crucifiées, si la fonction ecclésiastique devient comme un alibi plus commode pour rester étranger à ce qui se passe dans la politique. Quant aux clercs modernes, note-t-il par ailleurs[5], le risque est qu’ils mettent leur talent au service des passions politiques, ou qu’ils flétrissent l’amour du spirituel, et suivent le troupeau au lieu de le conduire ! Telle est la raison de la « sainte prudence » qu’affiche l’Église face au pouvoir temporel.

Dans le cadre de la RDC, que le tableau peint par des hommes d’église se caractérise par la médiocrité, l’accaparement des richesses, la non-existence réelle de l’État, l’enclavement infrastructurel, l’inégalité, la faiblesse stratégique, et que le mensonge systémique constitue le mode d’être, que le pays soit caractérisé par une économie de la somptuosité et une politique de la volupté, comme dirait Achille Mbembe[6], il y a là matière nécessitant qu’on réfléchisse deux fois. Comment et pourquoi en est-on arrivé là ? La religion comme telle, ou tout simplement l’Église en est-elle immaculée ? Peut-être, mais pas facilement, s’il faille s’en tenir à la raison. En effet, la Bonne Nouvelle annoncée par l’Église vise sans conteste, à transformer, à convertir, à changer ou à faire changer de position, s’il faille s’en tenir à l’étymologie du verbe « convertir ». Ce qui, sans nul doute, ne semble pas être le cas si, en dépit de l’évangélisation centenaire, il y a encore un tel mode d’être dans le chef des adeptes de diverses confessions religieuses engagés dans la gestion de l’ordre temporel ! Personne, et aucune organisation n’est totalement irresponsable de la situation piteuse de la RDC. Les responsabilités sont donc bel et bien partagées. Raison pour laquelle chaque citoyen, chaque structure (sociale, politique, spirituelle, économique, culturelle) se doit de contribuer au rétablissement de l’image géo-stratégique de la RDC comme « peuple grand ». Pour cela, il convient que chaque entité identifie son niveau de responsabilité mais aussi son degré de solution pour y remédier et le secours extérieur dont elle a besoin pour plus d’efficacité. C’est à ce prix que sera évité le syndrome habituel de ne voir la paille que dans l’œil de l’autre, tout en ne disant rien de la poutre qui se trouve dans le sien propre !  C’est avec raison que Bakole Wa Ilunga reconnaît que la société est le miroir de ce qui se passe en chacun de nous[7].

Un adage africain dit que la pirogue ne chavire pas suite à l’eau qui l’entoure mais plutôt suite à l’eau qui entre à son intérieur. Et un proverbe stipule que c’est d’abord à l’intérieur de la maison qu’il fait nuit. Quelle est donc cette eau qu’il y a dans la pirogue que sont les citoyens, croyants pour la plupart, et qui aujourd’hui et hier gèrent la chose publique en RDC ? Quelles sont les différentes nuits peuplant l’intérieur de la maison que sont ces citoyens ? D’où leur viennent-elles, cette eau de l’intérieur et cette nuit ? À dire vrai, cette eau et ces nuits représentent le contenu des cœurs des citoyens. Ce contenu qui leur vient de l’instruction et de l’éducation aussi bien profane que religieuse que véhiculent les structures sociales (famille, école, église et autres groupes d’appartenance). C’est à ce niveau-là qu’il faille évaluer la qualité des messages transmis et des valeurs qu’ils permettent d’acquérir. Par ailleurs, si les poissons sont malades, pour résoudre le problème, ce ne sont pas les poissons qu’il convient de soigner, mais plutôt l’eau. Il suffit de soigner l’eau pour qu’à leur tour, les poissons soient atteints par le médicament via l’eau. Dans le cas contraire, les poissons déjà soignés se feraient ensuite contaminer par la même eau dans laquelle ils baignent au quotidien. Cette eau-ci, ce sont les structures familiales, spirituelles, associatives, politiques et éducatives ; bref, toutes les instances où se forge au quotidien, la personnalité des citoyens. En d’autres termes, la santé de ces poissons est fonction de la qualité de l’eau dans laquelle ils baignent et résident.

Pour certains analystes, la théologie de l’inculturation prônée par bien des théologiens congolais semble avoir une part de responsabilité dans le chaos social de la RDC. C’est le cas de Benoît Awazi Mbambi pour qui, par exemple, le rite romain de la messe pour les diocèses du Zaïre semble avoir prôné et promu le folklore conduisant à un christianisme de façade et du « show ». D’autres encore en veulent pour preuve la détérioration des infrastructures sociales (écoles jadis prestigieuses dans chaque paroisse, rurale soit-elle, centres de santé, hôpitaux…) léguées par les missionnaires après l’indépendance, mais qui, aujourd’hui, ne révèlent que l’ombre d’elles-mêmes aux mains de Congolais ayant remplacé les missionnaires blancs. Ils en arrivent même à penser que la floraison d’églises de réveil qui, pour la plupart du temps ne sont que des églises du sommeil est la conséquence du vide spirituel et peut-être substantiel des églises post-coloniales sombrant dans le culte du pouvoir et de l’avoir. Des églises instituées en simples donneurs de leçons moralisatrices rimant peu avec le faire des protagonistes.

Dans une analyse critique, la radioscopie de la crise congolaise telle que peinte par Ricxon Biko[8] à travers ce qu’il appelle l’Oubli de l’Être Congolais,  il résulte que ce problème est d’abord et avant tout anthropologique. En effet, soutient-il, en RDC, les partis politiques ne sont que des marques déposées familiales; raison pour laquelle des gouvernements se succèdent et se ressemblent. Pour cela, les élections semblent signifier la perpétuation de la République des petits copains. Regardant la réalité en face, Ricxon Biko[9] se demande si la bisbille politique qui se joue au Congo est différente de celle qui se passe au sein de l’Église catholique congolaise. À son sens, le fait que l’héritage infrastructurel, intellectuel et organisationnel des missionnaires soit tombé en décrépitude révèle que l’Église post-coloniale n’est pas innocente quant à la décadence sociale de la RDC.

Partant, la faiblesse qu’au cours du point de presse du 26 janvier 2018, le Président de la république a fait sienne semble s’étendre aussi bien aux gestionnaires de l’ordre spirituel qu’à ceux du temporel : n’avoir pas réussi à changer l’homme congolais[10]. Par conséquent, il y a là une responsabilité spirituelle, bien que l’ordre spirituel soit en principe fondé sur la liberté d’adhésion et d’action, étant donné qu’il n’a même pas de prison. Il a cependant de l’influence incontestable sur le conscient et l’inconscient individuels et collectifs de ses membres comme cela se fait remarquer à bien des égards. Il convient donc plutôt de faire une auto-évaluation devant déceler les raisons fondamentales de cette incapacité spirituelle à former d’excellents citoyens, comme dirait Socrate.

C’est aussi dans ce sens que tout en reconnaissant le rôle indéniable de l’Église catholique dans le social (enseignement, santé et développement socio-économique), Kialuta Longana soutient que cette dernière n’a pas réussi à éradiquer les antivaleurs, à inculquer une mentalité démocratique, voire un sens d’altruisme à ses anciens élèves et étudiants qui, aujourd’hui, dirigent le pays[11]. Quant à Emmanuel Katongole, il fait remarquer qu’un paradoxe étonne : il constate qu’autant le christianisme continue de croître et de prospérer en Afrique, autant la pauvreté, la violence et les guerres civiles sévissent sur le continent[12] ! C’est ce que reconnaissait aussi à juste titre, Richard Mugaruka (d’heureuse mémoire) : les Églises, écrivait-il, n’ont, malgré leur présence sociologique, institutionnelle massive et puissante ainsi que l’engouement religieux populaire exacerbé, pas été en mesure d’empêcher le pays de sombrer dans une crise globale profonde et multisectorielle[13].

Ce diagnostic savant et lucide révèle que cette situation s’explique  par cinq raisons majeures ci-après[14] :

  1. Les Églises en RDC apparaissent comme des entreprises privées, gérées de manière   discrétionnaire et non participative par le clergé, sans que le peuple s’en sente vraiment propriétaire et responsable. Leurs organisateurs se comportent souvent en propriétaires et en chefs d’entreprises confisquant les honneurs et les privilèges liés à leur fonction et les distribuant à ceux qui leur font allégeance. Les fidèles le leur rendent par la pratique du culte de la personnalité du chef et le clientélisme.
  2. Les œuvres caritatives des Églises ne favorisent pas toujours l’émergence du sens de créativité, d’inventivité, d’autonomie et de responsabilité de la part des bénéficiaires. Ces actions caritatives gratuites, en elles-mêmes positives et, dans bien des cas, nécessaires, contribuent néanmoins souvent à créer et à entretenir une mentalité d’assisté perpétuel et de mendiant professionnel.
  3. Le déficit prophétique se fait remarquer par le fait que les Églises apparaissent comme accommodantes sinon complices de l’ordre établi, ne fût-ce que par leur passivité ou neutralité, ou par leur propension à quémander et accepter des dons de la part des tenants du pouvoir politique (voitures dernier cri…). Même dans la coopération avec l’État, elles subissent plus qu’elles n’influencent les décisions et les pratiques administratives iniques et anti-sociales, notamment en ce qui concerne la rémunération indécente du personnel. Les Églises véhiculent une religiosité désincarnée, confinant la foi à la sphère d’une spiritualité et d’un moralisme individualistes et à un culte religieux hyperémotif et évasif. Les Églises, ajoute-t-il, s’en prennent souvent aux effets et non aux causes profondes des dérèglements socio-politiques. Elles dénoncent plus qu’elles ne préviennent et arrivent presque toujours trop tard, à la manière de sapeurs-pompiers.
  4. Les Églises congolaises ne sont pas à l’abri de l’influence négative des antivaleurs du milieu socio-culturel où elles évoluent. Le tribalisme, le régionalisme, le mercantilisme et le clientélisme y sont présents, parfois de manière structurelle, et entravent la liberté de conscience indispensable à la fidélité à Dieu et à l’Évangile. Bien plus, l’autoritarisme, la boulimie du pouvoir, de l’avoir et des honneurs, le clientélisme, les injustices et les divisions... gangrènent certaines Églises au niveau de leurs dirigeants, au point de diluer l’impact de leur discours socio-politique.
  5. Les Églises ont, en général, développé la pastorale des masses mais sont pratiquement absentes des milieux de vie et de travail des cadres politiques, des leaders et des décideurs sociaux et économiques. Leurs interlocuteurs habituels, ce sont les masses populaires, à la fois principales victimes et complices passifs des oppresseurs qui, souvent, échappent à l’influence directe des Églises et des ecclésiastiques. Et comme les Églises appellent à la conversion et non à la révolte ou à la révolution, leur message n’atteint pas les destinataires les plus concernés, à savoir les responsables et les acteurs socio-politiques.

Tout cela, conclut Richard Mugaruka[15], a comme conséquence que les Églises sont, tous les dimanches, remplies de fidèles qui chantent, crient, dansent et même pleurent et s’évanouissent d’émotion, mais dont l’engagement socio-politique frôle le néant. Leur ferveur spirituelle ne semble pas impliquer et entraîner un engagement réel et efficace pour plus de justice et de charité dans le domaine du temporel et de la gestion des affaires de la cité.

      Sous ce même registre, Benoît Awazi fait remarquer que la contiguïté géopolitique entre l’Église et l’État en situation postcoloniale fait voir les homologies, les complicités et les ambiguïtés entre le pouvoir autocratique des tyrans africains et le pouvoir paternaliste du clergé africain qui se sert des mêmes méthodes autoritaires et coercitives de la période esclavagiste et coloniale. À cela s’ajoutent des amitiés intéressées avec les dictateurs africains[16]. Il convient donc de dire avec Morvan-Lebesque qu’il est temps que l’Église quitte son mari, le Pouvoir[17] [et l’Avoir] bien sûr. À ce point de vue, il est presque certain que si le Christ s’incarnait une fois de plus, il ne tarderait pas à se faire excommunier par les Églises se réclamant pourtant de Lui, étant donné que son mode de vie ne rimerait pas beaucoup avec celui de ses « disciples » et représentants contemporains.

Comme jadis, et contrairement à la mode ambiante, en plus de sa royauté d’humilité, sans palais et sans armée[18], un royaume qui n’est pas de ce monde, sans sceptre par quoi dominer, sans autre force sinon sa Croix[19] salvatrice, s’il arrivait que Jésus soit, en chair et en os, contemporain, les avocats des Églises de notre temps feraient peser sur Lui, au figuré et au propre, les charges suivantes : exercice illégal de la médecine, distribution de vin et de nourriture sans licence [et gratuitement], intervention dans les affaires des businessmen du temple, association avec des criminels notoires, des radicaux subversifs, des prostituées et des gens de la rue, traîne dans les bidonvilles, possède peu d’amis riches, parle souvent dans le désert[20], sans dogme, sans indulgences, sans Garde Suisse, sans compte en banque, non opulent, sans domicile, sans bureau climatisé, sans voiture dernier cri, non à la page (débranché), se laissant approcher par n’importe qui, ne se tenant pas à l’écart des impurs et des exclus, opposé aux bien-pensants, administration sans traçabilité, ne possédant qu’un habit unique et très ordinaire, ne promettant pas la richesse, incapable de la marchandisation de Dieu, peu exigeant, pardonnant à moindre frais, ne condamnant personne, trop cohérent, trop juste, non conformiste, incapable de mettre à profit la domination symbolique, incapable du business religieux, d’une logique non uniciste, ne percevant pas d’aumône et n’exigeant pas d’offrande lors de ses séances de travail, félicitant celui qui offre un seul centime au lieu de se faire l’allié de celui qui offre mille dollars, ouvrant - au propre et au figuré -  les yeux aux aveugles alors qu’il devait tout faire pour qu’ils ne voient qu’à la fin du monde après qu’on les ait dépouillés de tout, ne monnayant pas ses services miraculeux, alors que qui travaille à l’autel mange à l’autel, et au besoin, à l’hôtel cinq étoiles !...

 

[1] C’est cette question qu’abordent les publications ambitieuses ci-après : Louis Ngomo Okitembo, L'engagement politique de l'Église catholique au Zaïre 1960-1992, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Claude Nsal’onanongo Omelenge, La théologie politique négro-africaine. La constitution des sujets éthiques comme mission prophétique des Églises négro-africaines à l’heure des rendez-vous politiques, Kinshasa, Médiaspaul, 2016 ; Le Christianisme à l’épreuve des défis socio-politiques de la Région des Grands Lacs, Paris, L’Harmattan, 2017…  

[2] Bakole Wa Ilunga, Chemins de libération… op.cit., p.276.

[3] I. Ndongala Maduku, L’Église catholique et l’engagement politique des chrétiens en République Démocratique du Congo, 2012.

[4] E.Claparède, Morale et Politique…, p.150.

[5] Ibid., p.165.

[6] Achille Mbembe cité par Kasereka Kavwahirehi, Le prix de l’impasse… op.cit., p182.

[7] Bakole Wa Ilunga, Chemins de libération, Kananga,éd. De l’Archidiocèse, 1978, p.62.

[8] Ricxon Biko Kabuasa, « L’oubli de l’être congolais », in Benoît Awazi Mbambi  Kungua (Dir.),  Philosophies africaines, Études postcoloniales et Mondialisation néolibérale. Variations africaines et diasporiques, Afroscopie VIII/2018, (Revue savante et pluridisciplinaire sur l’Afrique et les communautés noires), Paris, L’Harmattan, 2018, pp.106-108.

[9] Ricxon Biko Kabuasa, op.cit., p.113.

[10] cf. Point de presse du Président Joseph Kabila Kabange le 26 janvier 2018, en ligne sur www.youtube.com

[11] Denis Kialuta Longana, « La religion en Afrique subsaharienne : Facteur de développement ou obstacle », in Progressio : Revue interdisciplinaire, Vol.1 ; n° 1 Avril-Septembre 2017, Institut Facultaire de Développement, Kinshasa, p.40.

[12] Emmanuel Katongole cité par Kasereka Kavwahirehi, Le prix de l’impasse… op.cit., p.175.

[13] Richard Mugaruka, « Le rôle sociétal des églises et, en particulier, de l'Église catholique en République Démocratique du Congo cinquante ans après l'accession du pays à l’indépendance », Kinshasa, 17 juin 2010, en ligne sur https://www.umoya.org/images/stories/.../ROLE_SOCIETAL_DE_LEGLISE.doc 

[14] Richard Mugaruka, op.cit.

[15] Richard Mugaruka, op.cit.

[16] Benoît Awazi Mbambi Kungua, Panorama des théologies négro-africaines anglophones, Collection « Églises d’Afrique », Paris, L’Harmattan, 2008, p.251.

[17] Morvan-Lebesque cité par Cardonnel Jean & Esposito-Farèse Aimé, César et Jésus-Christ… op.cit., p.9.

[18] cf. Hymne de la veille au soir de l’Épiphanie du Seigneur, in A.E.L.F., Livre des Heures : Prière du temps présent, Paris, Cerf-Desclée-Desclée de Brouwer-Mame, A.E.L.F., 1980, p.156.

[19] Ibid., p.550.

[20] Cardonnel Jean & Esposito-Farèse Aimé, César et Jésus-Christ… op.cit., p.12.

Et, avec Mgr Pedro Casaldaliga, Jésus dirait à quiconque se réclame de lui sans pour autant incarner son esprit de vie : Maudites soient vos clôtures, celles qui vous clôturent par-dedans, gras, seuls, comme cochons engraissés ; en clôturant, avec vos barbelés et vos titres, hors de votre amour les frères humains ![1] La clôture représente ici tout système d’exclusion à travers le pouvoir idéologique et religieux ambiant, encouragé par des lois rigides, des lois-instruments des puissants contre les faibles.

Point n’est donc besoin de se demander si ce qui est reproché aux gouvernants ne prévaut pas, à quelque degré, au niveau de la gouvernance de diverses confessions religieuses : culte du pouvoir allant même jusqu’à une certaine déification, dépendance mentale, économique et culturelle, néocolonialisme ; divisions de divers ordres, népotisme… C’est, nous semble-t-il, ce qui fait même que le politique se serve de Dieu pris pour un « bouche-trou » à diverses occasions, suite au culte du pouvoir et de l’avoir qui à eux seuls, semblent au plus haut niveau, incarner l’être par excellence : être se limiterait pratiquement à avoir et pouvoir.

Tout de même, il est curieux de constater que lorsqu’il s’agit de comptes à rendre quant à ce qui est de la saine gestion de la chose publique, les concernés invoquent facilement le « rendez à César ce qui est à César », pendant que lorsqu’il s’agit de se tirer d’affaires quand les politiques ne parviennent pas à accorder les violons, on fait recours à l’ordre spirituel pour jouer au sapeur-pompier, avant de lui jouer un mauvais tour par la suite. Pratiquement et souvent même innocemment, l’ordre spirituel, croyant à la bonne foi des acteurs du temporel – qui, au fait, ne sont pas des enfants de chœurs –, se fait souvent prendre au piège des calculs politiciens dont il ne semble pas maîtriser suffisamment les rouages et les malices. C’est probablement là la raison de la sainte prudence à laquelle joue l’Église lorsqu’il faille se prononcer face à des stratégies citoyennes de rétablissement de l’ordre constitutionnel. Face au risque de se faire instrumentaliser par l’opposition politique souvent rassemblée mais jamais unie, une opposition « en lambeaux et malléable à volonté par la majorité au pouvoir grâce à des débauchages juteux » [2], l’Église préfère se limiter aux tâches cultuelles et sacramentaires.

À ce propos, l’analyse de la situation faite par Kä Mana révèle trois principes de base qui structurent l'imaginaire social et le champ des comportements dans le christianisme africain, principes qu’il conviendrait d’exorciser : 1- la divinisation du ventre : elle consiste à placer au cœur de toute activité sociale et politique, comme son moteur et sa motivation fondamentale, l'impératif de « brouter là où on est attaché. » Ce principe, soutient-il encore, est aussi au cœur de l'existence des Églises d'Afrique et au centre de leur fonctionnement comme champ concret de vie[3]. 2- la déréglementation du système du désir : ce principe consiste à n’avoir d'autre intérêt que le court terme, le domaine privé, sans aucune perspective qui puisse faire croire aux autorités publiques qu'elles sont responsables des générations futures[4]. 3- la désarticulation de la raison : ce principe consiste dans le fait que le penser, comme possibilité de cohérence entre le privé, le social et le public dans un projet collectif de réflexion et d'action, souffre du déterminisme du ventre. En effet, souligne Kä Mana, le juger, comme possibilité de distance critique et capacité d'évaluation vraie de soi, perd toute son énergie dès que l'état général de la société détruit les préoccupations autres que celles de l'ici et du maintenant[5]. Au regard des défis ainsi identifiés, il convient de baliser des horizons d’espoir. C’est à cela que s’attèle le point ci-après.

Perspective politique de la religion en RDC

Au point de vue de l’avenir politique des confessions religieuses, les propos de Simone Weil[6] nous paraissent suggestifs. Pour elle, on ne peut briser le cercle vicieux des conflits de pouvoir que de deux manières : ou en supprimant l'inégalité, ou en établissant un pouvoir stable, un pouvoir tel qu'il y ait équilibre entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent. Le cours de l’histoire ne présage pas que cet avènement est pour aujourd’hui ni pour demain, mais seulement pour un lendemain quelque peu lointain au Congo, vu le déséquilibre promu dans diverses structures (aussi bien politiques que spirituelles) entre ceux qui tiennent la manette de commande, et ceux qui sont en devoir de leur obéir.

Pour sa part, face aux défis identifiés, à la manière de Jean Cardonnel & Esposito-Farèse qui estiment que l’Église de l’avenir (c.à.d. l’Église ressuscitée) prendra racine dans la mort de l’Église actuelle (c.à.d. l’Église du statu quo)[7], l’Église au sein de laquelle l’espérance du ciel devient prétexte pour ne pas transformer la terre[8]Kä Mana propose aux Églises africaines de : combattre le christianisme de l'ignorance ; détruire les systèmes des masques et des simulacres où on se complaît de vivre dans une fausse conscience de soi, dans des mensonges collectifs et des calculs individuels coupés de tout sens de responsabilité ; barrer la route aux dynamiques d'ethnicisation et de privatisation des Églises ; valoriser des structures de mentalités et d'action capables de vivre la foi chrétienne dans les espaces et les institutions publics où le Christ a à être annoncé comme le grand souffle de l'humain ; créer de nouvelles structures de solidarité créatrice et d'engagement dans une foi chrétienne où l'humanitaire, le social et le politique soient des enjeux conjoints et indivisibles ; développer le christianisme de participation aux grands enjeux de la destinée de nos pays ; veiller constamment à affirmer l'essentiel des valeurs chrétiennes dans les décisions à prendre aux plans politique, économique, social ou culturel ; refuser les déterminismes du « ventre », du marché ou des intérêts, au nom de la primauté de l'esprit et des impératifs de l'Esprit qui mettent les hommes ensemble pour construire l'humain et faire reculer l'inhumain partout[9].

C’est aussi ce qui conduit Ndongala Maduku[10] à affirmer qu’aussi courageuse qu’elle soit, la prise de parole des évêques ne suffit pas. Il faut, ajoute-t-il, une révolution ou des réformes qui inscrivent leur magistère éthique et social dans le concret de la réalité sociale. Le sens pratique de la foi devrait être catalyseur des actions qui promeuvent l’exercice d’une citoyenneté active, critique et participative. Pour paraphraser Kä Mana[11], bien qu’importants et préalables à toute action de changement, les seuls discours moralisateurs sont loin de suffire pour changer la République Démocratique du Congo. À ces discours et déclarations doivent s’adjoindre des actions réfléchies et pratiques, sur base du principe de Henri Bergson qui veut que l’on réfléchisse en homme d’action et qu’on agisse en homme de réflexion ; pas l’un sans l’autre.

En effet, stipule Kasereka Kavwahirehi[12], le discours social perd de sa crédibilité s’il doit se limiter à la stigmatisation des dérives politiques et économiques, et au rappel des principes généraux et éternels sans déboucher sur une quelconque action concrète contre l’injustice. Ces actions doivent, tout de même, être faites de façon à « prendre parti sans parti pris » [13], comme dirait Claparède. Kä Mana souligne par ailleurs que pour ce qui est des intellectuels, il ne suffira pas de produire des analyses de haute facture mais aussi et surtout lier idées et actions en répondant à ce triple questionnement : Dans quelle action de transformation suis-je engagé ? Avec quel réseau de changement suis-je en train de travailler ? Quels sont mes lieux d’investissement au service de la renaissance ?[14] C’est alors et seulement alors à ce titre qu’on aura raison de porter un regard critique sur la marche quotidienne de la société sans pour autant se dédouaner en faisant de ce devoir citoyen une affaire des autres. 

            Richard Mugaruka estime par ailleurs que pour éduquer le monde aux valeurs, l’Église doit commencer par les vivre elle-même et les promouvoir en son sein. Rien, disait-il, aucune pédagogie ne peut suppléer à la carence du témoignage dans la mise en œuvre de l’action évangélisatrice de l’Église. C’est donc par l’engagement des chrétiens dans les divers milieux laïcaux, familiaux, professionnels, sociaux, culturels, politiques et économiques que les fidèles sont appelés à témoigner de leur foi, à la manière du levain dans la pâte, du sel de la terre. [15]

            C’est en ce sens que le Pape Paul VI, reconnaît que le témoignage d’une vie authentiquement chrétienne est le premier moyen d’évangélisation, en ces termes : L’homme contemporain, écrit-il, écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont témoins[16]. Le seul art oratoire est donc loin de constituer un moyen efficace d’évangélisation persuasive. Il faut beaucoup plus, et avant tout, prêcher par la conduite, bref, par la sainteté de vie face aux pouvoirs de ce monde. Pour emprunter les termes de Kasereka Kavwahirehi[17], tout en veillant à ne pas fragmenter les dimensions fondamentales et interdépendantes de la vie humaine (politique, économique, religieuse), on veillera à ce que la dimension religieuse ne tourne pas à un dogmatisme paralysant au service des puissants du jour, mais reste le lieu d’un principe dynamique et critique qui donne sens aux autres, les porte toujours plus loin sans jamais outrepasser leur domaine de compétence et leur statut d’outils et non de fins.

            Néanmoins, le problème est que, comme l’atteste l’auteur précité, la structure du discours social de l’Église est malheureusement duale. En effet, il s’adresse en même temps à deux catégories de personnes ne jouissant pas des mêmes possibilités et prérogatives : d’une part, les membres de la hiérarchie de l’Église ainsi que les consacrés dont le propre est de s’engager dans des actions spécifiquement spirituelles, et d’autre part, les laïcs appelés à participer à la politique. C’est pratiquement comme si c’était du dehors que les évêques s’adressent à ceux qui sont engagés dans le monde séculier pour leur donner des directives qui semblent s’imposer[18]. C’est pour cette raison que Jean-Yves Calvez[19] suggérait à l’Église de produire deux types de documents : l’un destiné aux fidèles catholiques, et l’autre, lavé de tout dogmatisme à la manière de Pacem in terris, destiné à ceux qui ne partagent pas la foi catholique. Dans le contexte africain, il se fait qu’à dire vrai, compte tenu des réalités historiques et culturelles, la place qu’occupe le christianisme en Afrique n’est pas la même que celle qu’il occupe dans la conscience historique et sociale en Occident où, il n’y a pas longtemps, les rois et les empereurs recevaient leur pouvoir du pape[20].

            Emmanuel Katongole estime que la mission sociale de l’Église en Afrique ne doit plus se limiter à écrire de vagues recommandations aux « fidèles et aux hommes de bonne volonté », à fournir une assistance humanitaire ou à servir d’appui à l’État-Nation, mais à s’investir dans la voie d’une ré-imagination sociale et politique de l’Afrique pour un futur autre[21]. Par ailleurs, Ndongala Maduku[22] soutient que l’heure des discours, messages, déclarations et conférences de presse n’a que trop duré. Il s’appuie sur le Pape Paul VI pour qui « il ne suffit pas de rappeler les principes, d’affirmer des intentions, de souligner les injustices criantes et de proférer des dénonciations prophétiques : ces paroles n’auront de poids réel, dit le Pape, que si elles s’accompagnent pour chacun d’une prise de conscience plus vive de sa propre responsabilité et d’une action effective. Sachant qu’il est plus facile de jouer le prophète que le militant[23], et que la foi ne peut convaincre que si les paroles se concrétisent en actes non ambigus[24], Ndongala Maduku[25] rappelle que le kaïros de l’engagement et de la prise des responsabilités a sonné, étant donné que la seule phraséologie ne saurait avoir raison des dictatures. En effet, le pouvoir donne l’impression d’éternité, et donc, de divinité. Il faut, par conséquent, une instance interpellatrice indiquant l’alternative. Cette instance devra, pour être efficace, mêler raison théorique et raison pratique, foi et action, paroles et actes transformateurs, en commençant par « balayer devant sa propre case ».

 

[1] Pedro Casaldaliga cité par Ignace Berten, Christ pour les pauvres : Dieu à la marge de l’histoire, Paris, Cerf, 1989, p.35.

[2] Alain Nzadi-a-Nzadi, « Les interminables dialogues en RD Congo, un marché de dupes ? », in Congo-Afrique, n° 522, Kinshasa, CEPAS, 2018, p.102.

[3] Kä Mana, Christ d’Afrique… op.cit., p.186.

[4] Ibid., p.188.

[5] Ibid., p.190.

[6] Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, Paris, Gallimard, 1934, p.38.

[7] Jean Cardonnel & Aimé Esposito-Farèse, César et Jésus-Christ… op.cit., p.222.

[8] Bakole Wa Ilunga, Chemins de libération… op.cit., p.199.

[9] Kä Mana, Christ d’Afrique… op.cit., pp.193-194.

[10] I.Ndongala Maduku, op.cit.

[11] Kä Mana, Changer la République Démocratique du Congo, Yaoundé-Kinshasa, AIS Editions-Le Potentiel Editions, 2011.

[12] Kasereka Kavwahirehi, Le prix de l’impasse… op.cit., p.185.

[13] E.Claparède, Morale et politique… op.cit., p.114.

[14] Kä Mana & Mulumba Kubuayi, L’Afrique et l’ordre néolibéral planétaire. Ruptures et révolutions, Goma, Pole Institute, 2018, pp.238-239.

[15] Richard Mugaruka, art.cit.

[16] Paul VI, Evangelii nuntiandi. Lettre encyclique sur l’évangélisation, Vatican, 8 décembre 1975, n° 41.

[17] Kasereka Kavwahirehi, Le prix de l’impasse… op.cit., p.167.

[18] Ibid., p.187.

[19] Ibid.

[20] Ibid., p.192.

[21] Ibid., p.225.

[22] I.Ndongala Maduku, op.cit.

[23] Cesbron Gilbert, Huit Paroles pour l’Éternité, Paris, Robert Laffont, 1978, p.81.

[24] Jean Cardonnel & Aimé Esposito-Farèse, César et Jésus-Christ… op.cit., p.233.

[25] I.Ndongala Maduku, op.cit.

C’est, nous semble-t-il, dans ce cadre que pour sa part, Ntumba Kapambu[1], s’inspirant de l’apôtre Pierre, formule trois principes devant guider l’exercice de la mission prophétique aujourd’hui : le refus du silence face au mal (dénoncer le mal, être veilleur et éveilleur des consciences), l’indépendance d’esprit (ne pas tenir des discours pour plaire), et la vigilance à l’endroit du peuple (obéir aux lois, participer aux élections, apprendre au peuple à contrôler l’action des gouvernants, et en cas de besoin, désobéir). Il conviendra, à tous ces niveaux, que paroles et actes soient consonants et aillent de pair. En tout cela, il ne s’agit aucunement de se soustraire de la bonne marche de la vie de la société.

La mise en œuvre des principes susmentionnés devra tenir en compte le fait que l’Église ne devra pas n’avoir qu’une seule manière d’exprimer la foi, ou une théologie unique, étant donné que, comme le rappelle Jean-François Six, il ne faut pas oublier qu’au commencement de l’Église, les évangiles furent quatre, et les apôtres douze[2]. Et le Saint Esprit lui-même ne saurait se plier à une moule unique ; il faut et il y a bel et bien des expressions multiples, mieux, des expressions complexes. C’est ce principe qui permettra de construire des lieux où la parole n’est pas imposée ni les idées toutes faites, des lieux où l’on se parle, en communion, les uns aux autres (…), des lieux où l’on attend l’autre ardemment[3], pour le combat contre l’injustice.

Pour ce faire, Ricxon Biko[4] admet que la question n’est pas de savoir comment être un bon Congolais, ou de se demander si le Congolais a du potentiel, mais plutôt de comment être Congolais autrement que l’image triste que nous projetons dans le monde entier. En termes de proposition, il estime nécessaire de sortir de la « congolité » actuelle pour mieux y revenir et être présent dans la temporalité ; et puis, revisiter notre passé afin de mieux construire l’avenir.  Ce qu’il appelle « congolité actuelle », c’est celle caractérisée par la promotion d’antivaleurs de tout bord. À ce sujet, Kä Mana[5] estime que pour construire un avenir de grandeur, il convient de parler autrement du Congo ; cesser de se laisser conditionner par les maladies des antivaleurs et le discours fataliste ; tenir plutôt un discours critique mais positif et fertile sur le Congo. Il faudra certes, en plus de ce dire positif, une bonne foi décisive couplée d’un agir positif et vraiment éthique et non simplement moralisateur faisant tomber dans le syndrome de Ponce-Pilate : se laver les mains en signe d’innocence dans la faillite de la promotion de Congolais debout, unis par le sort, unis dans l’effort pour l’émergence. Il conviendra d’éviter aussi le syndrome d’Adam et Ève, syndrome d’auto-dédouanement irresponsable. Bref, il nous faut, pour paraphraser Benoît Awazi[6], une praxis de libération intégrale des masses africaines doublement asservies aussi bien par les élites nègres que par les puissances impériales du monde occidental.

Faut-il enfin noter que de la part des fidèles doit être cultivé l’esprit critique, pour une foi éclairée par la raison, et une raison éclairée par la foi. En effet, au regard-même du ritualisme, j’ai souvenance d’un récit rapporté par un jésuite indien dont j’ai lu l’ouvrage il y a dix ans, mais dont j’ai perdu les traces. C’est le récit d’un jeune couple italien modeste qui célébrait son union sans moyens financiers suffisants pour festoyer à l’hôtel. Il fut convenu que la fête s’organiserait au jardin du presbytère. Curieusement, après la messe, il y eut une pluie torrentielle, au point que les convives risquaient de se faire mouiller. Raison pour laquelle le protocole sollicita du vicaire, qu’ils retournent à l’église pour y fêter, promettant tout de même de ne prendre chacun qu’un seul verre de vin. Pourtant, comme par miracle, ils en eurent même un second, et commencèrent à chanter et à danser. Chose qu’à son arrivée, constata avec grande amertume le curé à qui son vicaire demanda pourquoi il était anxieux. Ce dernier lui dit : tu n’entends pas ce qu’ils font à l’église ? Et le vicaire de demander : cela te dérange-t-il ? Et au curé de dire : tu ne sais pas qu’il y a le Saint Sacrement là-bas ? Constatant cela, le vicaire demanda : c’est quoi le Saint Sacrement ? Le curé, courroucé, lui répondit : tu ne sais pas que c’est le corps du Christ vivant ?  Se souvenant de la cène de Cana, le vicaire rétorqua : le Saint Sacrement n’est-il pas le même que le Christ qui a été présent aux noces de Cana ? Penses-tu qu’après avoir siroté le bon vin offert par Jésus, les convives s’étaient empêchés de danser en sa présence ? Cela avait-il constitué un scandale pour qu’il en soit ainsi dans notre cas ?[7] Ce récit révèle un christianisme ritualiste, une foi de charbonnier, sans aucune remise en question des pratiques. Il convient que soit développé l’esprit critique devant ainsi permettre aux chrétiens de faire la part des choses, sans pour autant tomber ni dans la désacralisation ni dans une foi ritualiste et inengageante.

Conclusion

Partant de l’indissociabilité du spirituel et du temporel, la réflexion ici présentée est partie de la cohabitation paradoxale de ces deux ordres dans les contextes aussi bien historique que contemporain, avec un accent particulier sur la RDC. Tout en reconnaissant le principe de laïcité de l’État, il a été fait un diagnostic de cette relation, tout en notant que la responsabilité du bien-vivre-ensemble incombe tant aux tenants de l’ordre spirituel qu’à ceux de l’ordre temporel. En ce sens, et contre le « syndrome d’Adam et Ève », le chaos aussi bien organisationnel que structurel faisant de la RDC un État en état morbide est de la responsabilité des deux ordres précités, bien qu’à des degrés divers, la preuve étant qu’à quelque exception près, les mêmes dérives vécues au niveau de l’État sont monnaie courante au niveau des confessions religieuses.

Prouvant que les confessions religieuses sont des organes de la société civile à part entière, il a été montré que bien gérée, la collaboration État-Religion constitue un atout garantissant la probité et la conscience éthique ; mais gérée au détriment d’une partie, elle constitue un danger, au point que la gestion de la chose publique risque de tomber dans la promotion de la propriété privée des animateurs des institutions dont le rôle serait d’assouvir leurs soifs temporelles au détriment des citoyens ordinaires. Pour être le ferment de transformation positive de la société, l’Évangile se doit d’être une stratégie de résistance et de survie face aux systèmes temporels et spirituels injustes. Pour ce faire, il convient d’éviter de donner en exemple le Crucifié tout en mourant de peur d’être crucifié. Bref, il faut le courage de croire et de témoigner de la saine gestion évitant de faire recours aux mêmes modes opératoires du politique.

Pour tout dire, le spirituel et le temporel, le religieux et le politique ne sont pas deux ordres du type nuit et jour, blanc et noir, lumière et obscurité, mais plutôt de l’ordre relationnel du soleil et de la lune ou même de la lune et les étoiles. Il ne s’agit pas d’aspects exclusifs. C’est, au contraire, des aspects complémentaires, à tel enseigne que leur séparation totale ne peut que créer un vide social et anthropologique difficiles à combler. Est-il cependant que leur collaboration doit sans cesse être éclairée par une dose de vigilance, afin qu’aucune instance n’outrepasse ses prérogatives. Cela est du devoir aussi bien des responsables du monde religieux que ceux du monde politique, si bien que la bonne ou la mauvaise marche quant à la gestion de la chose publique est, à quelque degré, du devoir de chacun. À ce point de vue, nul ne peut se prévaloir de son innocence dans la dérive organisationnelle de la RDC. Telle est la complémentarité heureuse qu’il convient d’opérer de façon objective et rationnelle, sans se voiler la face, pour un Congo vraiment co-responsable, debout et prospère. Il faudra cependant, ne pas tomber dans la religiosité. La condition est que la religion soit ouverte à la liberté de penser et de transformer la société. Pour ce faire, il convient de distinguer, sans les séparer, religion et politique.

Goma, le 22 mars 2021

 

[1] V.Ntumba Kapambu, « L’apôtre Pierre face aux pouvoirs politiques de son temps en 1P 2,13-17. Quelques principes pour les Églises d’Afrique », in Pensée Agissante, Revue semestrielle de l’Université Saint Augustin de Kinshasa, Vol 18, n° 35, juillet-décembre 2011, Kinshasa, pp. 88-89.

[2] Jean-François Six, L’incroyance et la foi ne sont pas ce qu’on croit, Paris, Centurion, 1979, p.4.

[3] Jean-François Six, L’incroyance et la foi… op.cit., p.196.

[4] Ricxon Biko, op.cit., p.113.

[5] Kä Mana, L’homme congolais… op.cit., p.6.

[6] Benoît Awazi Mbambi, Préface in Nestor Salumu Ndalibandu, Prière d’exorcisme et de guérison dans l’Église catholique en Afrique. Défis pastoraux, Paris, L’Harmattan, 2017, p.11.

[7] Récit cité de mémoire

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