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Kä Mana : Réimaginer l’éducation de la jeunesse africaine : lignes directrices et orientations fondamentales, Goma-Yaoundé, Pole Institute-AIS Editions, 2013. Par Bernardin Ulimwengu Biregeya « Quand les repères essentielles d’une civilisation s’effondrent face aux nouvelles forces du destin, (…) il est indispensable de rêver une nouvelle éducation de la jeunesse afin de construire l’avenir.» (Kä Mana) Qui est Kä Mana ? Le Professeur Kä Mana est une grande figure de la pensée congolaise contemporaine. il est auteur d’une œuvre abondante dont nous signalons les titres importants : L’Afrique va-t-elle mourir ?, Paris, Karthala, 1993 ; L’Afrique notre projet, Yaoundé, éd. Terroirs, 2009 ; La RDC est à réinventer, Kinshasa, Le Potentiel, 2009 ; Il y a urgence. Pour une nouvelle indépendance de l’Afrique et de notre pays, Kinshasa, Editions universitaires africaines, 2010 ; Manifeste pour l’université de la renaissance africaine : Les nouveaux enjeux de l’enseignement supérieur et de la recherche universitaire en Afrique (en collaboration avec Jean-Blaise Kenmogne), Presses de l’Université Evangélique du Cameroun, Bandjoun, 2010 ; Changer la RDC, Bafoussam, CIPCRE, 2012. L’éducation scolaire en Afrique, Mbouon/Bandjoun, Presses universitaires de l’Université évangélique du Cameroun, 2012 ; Eduquer l’imaginaire africain, Bandjoun, Presses de l’Université évangélique du Cameroun, 2012. Et en avril 2013 : Réimaginer l’éducation de la jeunesse africaine: Idées directrices et orientations fondamentales, édité par Pole Institute et AIS éditions à Yaoundé et Goma en 2013. Dans toutes les publications, depuis sa tendre puberté littéraire, il exprime son rêve et son espoir dans une Afrique de grandeur et de réussite à travers la formation des générations montantes porteuses de clés de l’avenir. Domaine de recherche Face aux enjeux de l’heure, l’auteur porte ses réflexions sur la politique en tant que stratégie d’organisation de la communauté humaine, la crise anthropologique conduisant à la perte de l’humain dans l’homme, l’écologie dont le non respect engage la nature contre l’homme, le genre face aux survivances culturelles, la culture et la société appelées à s’accommoder de la mondialisation, au risque d’être déboussolées. Idées maîtresses de l’ouvrage Au point de départ, l’auteur se pose la question de savoir si, compte tenu des mutations liées à la mondialisation – qui en réalité n’est qu’une occidentalisation du monde –, l’élite africaine œuvre pour une nouvelle éducation de la jeunesse africaine afin de faire face aux défis existentiels du présent pour un futur radieux. La réflexion ici développée est axée sur huit points dont les idées maîtresses sont ci-dessous présentées. 1. Kribi dream D’emblée, l’auteur chante le pouvoir fascinant de l’Afrique dont la beauté et le silence permettent la rencontre avec le moi pour réfléchir davantage sur son devoir à l’égard de la jeunesse africaine. Il découvre que le vrai problème de l’éducation, c’est de passer de la culture de la conformation au monde à la culture de l’invention d’un autre monde possible. Il s’agit pratiquement de passer de la pédagogie de moutons de Panurge à la force de l’imagination créatrice de la jeunesse. Kribi, et par contrecoup l’Afrique, est l’image d’un monde humain que nous devons faire émerger de nos esprits créateurs, contre la culture de la saleté qui inonde nos villes, et en faveur de l’éco-souci, c’est-à-dire, le souci de la beauté de notre cadre de vie. L’auteur réalise d’une part que l’éducation en Afrique devait être pensée comme une guerre, avec ses exigences d’ordre, de discipline et de rigueur, et d’autre part, que la clé de l’éducation est dans l’organisation et l’action, pour une société heureuse. 2. Le vieux penseur et l’éducation Par rapport à l’affirmation selon laquelle le continent africain n’est pas totalement entré dans l’histoire, l’auteur se dit que l’éducation devra servir à ouvrir les yeux et les oreilles spirituels du monde et de l’Afrique, étant donné qu’en réalité les relations entre l’Occident et l’Afrique font penser à de vrais aveugles conduisant de vrais aveugles, eu égard au manque de fondation spirituelle caractérisant l’Occident qui croit être un modèle de civilisation. Pour ainsi dire, l’éducation doit s’orienter comme une lutte contre tout ce qui, dans la société, ne relève ni du registre de l’unité, ni de la vérité, ni de la beauté, ni de la bonté, s’il faut ici se référer aux transcendantaux métaphysiques. L’auteur ajoute que traquer ce mal, c’est éduquer l’homme à son humanité. Et c’est pour cela que ni l’Afrique ni l’Occident ne sont vraiment entrés dans l’histoire de la lutte mondiale contre le mal. Etant donné la nécessité de milieux porteurs, il convient de mettre en place l’éducation de bâtisseurs d’amour, car actuellement, le non-sens a pris le dessus sur le sens, le non-sens étant la violence, et le sens, l’amour. Ainsi nous pourrons construire une société du bien, du beau, du vrai, d’unité, de vision et d’action. 3. Dans la splendeur de l’amour et l’éclat de tous les rêves A ce niveau, l’auteur soutient que l’éducation doit consister à former les générations montantes à la « praxis du bien ». Forcer les jeunes à la force de faire le bien, toujours et partout, comme dirait Martin Luther King. Eduquer c’est donc ouvrir l’être à son pouvoir profond d’aimer, sa capacité de s’engager au service d’un autre monde possible. D’où la nécessité d’insister sur le pouvoir de penser et l’énergie de l’engagement politique pour les jeunes, étant donné que le changement dépend, dans une large mesure, de la qualité des élites dirigeantes et de la pression du peuple sur elles. Il s’agit par conséquent d’éduquer les jeunes à leur pouvoir de pression, leur capacité d’indignation et de révolte constructrice ainsi qu’à leur pouvoir de responsabilité. 4. Inquiétante RDC, miroir de l’Afrique A ce niveau, l’auteur s’étonne que sur 100 meilleures universités africaines, il n’y a aucune université de la RDC. Il en conclut cependant que ce que le Congo est à l’Afrique, l’Afrique l’est au monde. La preuve que le domaine de l’éducation est le cadet des soucis de nos gouvernants est que d’emblée, la condition des infrastructures laisse à désirer. Or, la maîtrise du savoir est largement fonction de l’environnement ! A cela s’ajoute le fait que les formés ne sont disposés qu’à singer l’Occident, à la Panurge. Par conséquent, c’est dans la mutation de l’intelligence qu’il faut investir, au risque d’intérioriser la domination tout en la niant dans le discours. Il convient alors, souligne l’auteur, que l’éducation aussi bien scolaire qu’universitaire s’oriente vers la renaissance du Congo, surtout par le pouvoir créateur. Ainsi on aura lutté contre l’école de la médiocrité. Sans cela, nous constituerons, au-delà d’une république d’inconscients, un peuple étourdi. Pour tout dire, l’auteur estime qu’il convient que toutes les forces vives, dans tous les domaines, s’impliquent afin d’éviter la ménopause mentale et l’impuissance intellectuelle caractérisant le système éducatif de la jeunesse congolaise. 5. Pour une sagesse écologique du monde: L’Afrique, l’écologie et l’éducation au développement durable A ce niveau, l’auteur soutient que la préoccupation écologique est une nouvelle sagesse nécessaire à un être-ensemble pour un développement mondial solidaire. En effet, nous avons à défendre notre terre pour donner un nouveau souffle à la mondialisation actuelle qui entraîne un « néant existentiel » à cause de l’exploitation irrationnelle des ressources naturelles (Nagasaki et Hiroshima, Tchernobyl, Fukushima, les changements climatiques, la Tsunami, les cancers… en sont la preuve). Au cœur de l’éducation doit donc être le souci écologique (pour la protection des écosystèmes c.à.d l’ensemble des êtres vivants et non vivants constituant le milieu où nous vivons), pour un nouvel humanisme planétaire. Au fait, la civilisation industrielle moderne, avec sa mentalité d’exploitation à outrance, rend la terre fragile, met l’humanité en danger maintenant et hypothèque les chances de vie des générations futures. Cela implique la nécessité d’une économie sociale et solidaire, une société de justice et de solidarité, mieux, une civilisation de l’amour de la personne humaine et tout ce qui l’entoure, étant donné que la vie sur terre en dépend. 6. Pouvoir politique et pesanteurs tribales : Les contradictions fondamentales de la RDC Il est ici question de trois contradictions fondamentales caractérisant l’être-ensemble en RDC: 1- Contradiction au cœur de nous-mêmes Au fait, les Congolais, en dépit de la diversité tribale, rêvent d’unité. Pourtant, lorsqu’il s’agit d’assumer réellement les conditions de cette unité, tout dérape. Nous rêvons donc une chose et en faisons une autre. 2- La contradiction avec le monde Le monde actuel se caractérise par une logique d’ensemble des identités ouvertes et la construction des ensembles supra-ethniques visant l’horizon mondial. Pourtant, nos tribus, au lieu d’être des lieux d’ouverture politique pour la construction d’une grande identité-monde, se recroquevillent sur elles-mêmes, devenant ainsi pauvres en relations. 3- Contradiction avec l’avenir L’avenir d’une nation dépend de la vision que les citoyens ont d’eux-mêmes et de leur place dans le concert des peuples. Or, avec les pathologies ethniques de nos contradictions avec nous-mêmes et avec le monde, c’est l’orientation même de notre avenir qui est en danger ; c’est le non-sens que nous promouvons. Pour changer la donne, l’auteur propose trois exigences d’action :  Une éducation fondée sur l’analyse de nos pathologies politiques et de leurs conséquences, afin de construire le Congo de la raison et du bon sens ;  Une animation culturelle nourrie par des utopies et des rêves d’une unité à inventer en fonction de la puissance mondiale à laquelle nous devons aspirer ;  Une dynamique solidaire de tous ceux qui refusent les identités meurtrières. 7. L’approche genre et ses enjeux pour l’éducation politique de la jeunesse africaine Pour l’auteur, il ne s’agit pas ici de se battre seulement pour la reconnaissance de l’égalité anthropologique entre l’être masculin et l’être féminin, mais de fonder sur cette égalité une vision globale du monde qui s’attaque à toutes formes d’inégalités. Un double impératif s’impose ainsi : d’une part, celui de la gestion de la question du bien et du mal, pour une « éthique du genre » ; et d’autre part, la question du sens à donner au destin des communautés humaines, pour une « spiritualité du genre. » Par « politique du genre », l’auteur entend l’action de réussir les changements positifs pour construire un nouvel ordre de société, pour une société de valeurs d’humanité. Il est donc question de la politique comme souci de transformation sociale des réalités pour l’épanouissement de la nation et pour le rayonnement de ses ambitions de bonheur communautaire. 8. Enfanter les créateurs d’avenir : Une urgence pour notre pays A la suite d’un débat philosophique avec ses étudiants, l’auteur trouve que sa tâche est de booster (propulser) l’imaginaire de la jeunesse pour lui faire découvrir sa vocation de sortir des cavernes des intelligences d’esclaves, afin d’inventer un monde nouveau. Partant du fait que les premiers vestiges de l’esprit mathématique chez les êtres humains aient été découverts à Ishango (en RDC), que la 1ère grande université africaine des temps modernes fut Lovanium, l’auteur estime que la RDC a une vocation de commencement du destin de l’intelligence. Par ailleurs, inspiré par l’expérience des actions de la prophétesse Kimpa Vita, du prophète Simon Kimbangu et du cardinal Malula, compte tenu de la lutte libératrice menée par chacune de ces personnalités, l’auteur trouve que la RDC est un pays des commencements d’une spiritualité de l’indignation, de la révolte et de la résistance contre l’oppression. Notre pays se veut donc une nation des fondations devant inspirer la jeunesse, pour réinventer un autre monde possible. Conclusion Comme l’on peut bien le constater, tout au long de cette œuvre, le Prof Kä Mana, s’inspirant, me semble-t-il, du récit traditionnel africain, s’acquitte du devoir de proposer des directives pour la formation d’une jeunesse dont l’éducation à la rationalité créative, - au beau, au bien, au vrai et à l’unité -, constitue la possibilité d’un nouveau Congo et d’une nouvelle Afrique pour un monde prônant l’humain dans l’homme, grâce à un bien-être communautaire. Il s’agit là de lignes de conduites devant constituer la trame de fond de la formation au sein de nos institutions supérieures et universitaires, pour contrecarrer la ménopause praxique.

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