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Province du Nord-Kivu : « cette parcelle n’est pas à partitionner ! »

Une question mal posée ne peut logiquement avoir pour bonne réponse que celle ni vraie ni fausse. Nous l’allons démontrer dans les lignes qui suivent. Au fait, le mois de Mai 2018 a connu la une d’un projet de scission de la province Nord-Kivu. D’aucuns se demandent cependant quel serait le mobile et la finalité véritables de cette idée aux apparences « innovantes » faisant surface au cours d’une période aussi trouble que la nôtre (fièvre pré-éléctorale, insécurité, tueries, kidnapping…). Notre postulat est que cette initiative découle d’un inceste mental et anthropologique, mieux encore, un inceste ontologique prétendant vouloir promouvoir l’être par le non-être.

Comme bien des chercheurs le reconnaissent, de tous les interdits, l’inceste constitue la transgression par excellence, étant donné que dans l'inceste tout s'unit et se brouille : l’individuel, le familial, et le social. Pour rappel, l’interdiction d’union sexuelle entre consanguins se base sur des raisons aussi bien anthropologiques (favoriser la structuration des échanges), biologiques (éviter les effets génétiques défavorables), religieuses (transgression de Dieu), psychanalytiques (éviter tout sentiment  de  jalousie). Et l’inceste mental et anthropologique comme l’entend ce texte, c’est la tendance, pour des habitants de la Province du Nord-Kivu, de croire qu’ils ne peuvent vivre, échanger, partager l’espace vital, qu’avec ceux de leur fratrie.

La grille de lecture de notre réflexion à travers ces pages est l’antique Mythe de la horde sauvage et le meurtre du père rapporté par Sigmund Freud dans Totem et tabou (1912 :108-111). En effet, selon ce récit, dans des temps reculés, les hommes vivaient en horde. Le mâle dominant avait seul la jouissance des femelles. Ce tyran expulsait du clan les jeunes gens arrivés à maturité sexuelle. Cette bande de jeunes frères se réunit. Ils haïssaient le père qui s'opposait violemment à leur besoin de puissance et à leur exigence sexuelle. Pour cela, ils attaquèrent la horde paternelle dans le but de posséder à leur tour les femelles. Ils tuèrent et mangèrent le père. Leurs sentiments vis-à-vis du père étaient cependant ambivalents. Ils le haïssaient mais l'aimaient et l'admiraient tout autant. Après avoir supprimé le père et réalisé leur identification avec lui, ils se livrèrent à des manifestations affectives d'une tendresse exagérée. Ils éprouvèrent un sentiment de culpabilité et finirent par désavouer leurs actes. Ils choisirent un totem (le plus souvent un animal, représentant le père) et instituèrent l'interdiction de tuer le totem choisi. Ces fils associés dans le meurtre du père, devinrent rivaux dans la possession des femmes. Il s'ensuit de graves discordes mettant à mal leur organisation au point de risquer de la faire disparaître. Afin de pouvoir continuer à vivre et à être fort ensemble, ils décidèrent de décréter la loi de l'exogamie.

Pour revenir à nos moutons, la scission de la Province du Nord-Kivu implique qu’une frange de personnes parlant au nom d’un groupe ethnique décide de séparer géographiquement leur communauté d’une autre (ou des autres) ; de ne plus partager le même espace vital avec celui qui ne lui permet pas d’entrer dans « son monde ». Pour cela, comme pour le mythe, des membres d’un groupe ethnique décident de « tuer le père » qu’est l’être-ensemble, bien que ce dernier semblait mourant, étant donné que l’autre groupe ethnique est aussi accusé de prôner cette même logique sectaire. Comme pour le mythe, une partie du peuple se sent lésé et désire être libre d’un autre, cet autre qui ne veut lui ouvrir les portes de sa zone géographique, alors que la loi fondamentale reconnaît la liberté de mouvement que l’État se doit de garantir et bien sûr, de réguler aussi : Toute  personne  qui  se  trouve  sur  le  territoire  national  a  le  droit  d’y  circuler librement, d’y fixer sa résidence, de le quitter et d’y revenir, dans les conditions fixées par la loi (art.30).

Pour les partisans de ce meurtre du vivre-ensemble, le découpage pourra résoudre non seulement les multiples problèmes de gestion de la province mais aussi des problèmes liés à la sécurité (www.depeche.cd). À l’opposé, leurs détracteurs qualifient cela de « vaste blague ». Et pour cause, soutiennent-ils : cette province compte plus de neuf  ethnies ; et si chacune d’elles réclamait sa part ou sa scission, combien de provinces aura-t-on ? (ibid.). Selon l’Agence francophone des écolos qui dit avoir mené des investigations au Nord-Kivu, les tueries incessantes dans la partie nord de la province seraient dues au fait que des communautés « veulent vivre chacune chez soi » ! (www.politico.cd)

Si tel est le cas, cette organisation semble être un renseignant de taille quant aux véritables auteurs des atrocités en question ! Aussi, à supposer qu’il soit vrai que la solution proposée soit celle idéale pour la paix, les provincettes à créer seraient donc des ensembles généralement homogènes de communautés traditionnelles organisées sur base de la coutume, comme s’il s’agissait de chefferies, selon l’article 67 de la Loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées. Pourtant, même pour ce qui est des chefferies, l’homogénéité dont parle la loi ne signifie aucunement que l’on ait affaire à une seule communauté mais bien plutôt à un ensemble généralement homogène de communautés.

Par ailleurs, à supposer que la scission en question soit effective, cela impliquerait qu’il faille par la suite saucissonner davantage, pour se rassurer que chaque groupe ethnique peuplant le « Petit Nord » occupe une provincette bien exclusive à lui. Alors que l’aire géographique est le plus petit commun multiple des peuples de la province, les intérêts égoïstes des plus malins prétendant parler au nom d’un certain peuple semblent constituer le plus grand commun diviseur du commun des mortels. Ce qui ne fera que prolonger le cycle de discordes comme pour la horde sauvage, sans oublier la survenue fort certaine du syndrome de Caïn qui fera que même après avoir occupé un territoire, des membres d’une même fratrie se livrent à des rivalités mortifères liées au pouvoir et à l’avoir, au risque de faire disparaître leur communauté, ou par excès de puissance et esprit hégémonique, attaquer les provinces sœurs.

Ce que semble révéler ce projet, c’est l’évidence de l’ingouvernabilité après la scission, étant donné que majorité n’implique pas nécessairement primauté ni prééminence quant à la co-gestion par l’ensemble des groupes ethniques peuplant cette zone. La suite logique sera que chacun voudra se débarrasser de l’autre, dans un mouvement d’exclusion et expulsion mutuelles, grâce au syndrome de Caïn ! Et dans ce cas, il s’agirait de corriger une faute par une erreur, allant ainsi de mal en pis. Ce qui révèle qu’il soit possible que les ténors de cette solution jouent en réalité le jeu de quelqu’un d’autre que leurs frères et même leurs « ennemis ». Si tel est le cas, l’initiative serait, à coup sûr, intentionnellement thanatofère (mortifère) thanatogène (mortigène) avec effets thanatologiques voulus, au lieu d’être biogène.

La solution est bien du côté de la promotion de l’être-ensemble, de la combinaison des différences car, comme dirait Gandhi, si nous ne voulons pas vivre ensemble comme des frères, nous mourrons tous ensemble comme des imbéciles. L’avantage est, non du côté de la division, la séparation, l’exclusion, mais plutôt du côté de la cohabitation, la co-existence, de la gestion fructueuse de nos différences qui, du reste sont et seront notre richesse.

Marie-Gabrielle Tacka (https://www.youtube.com/watch?v=GTiptTSkiQ8), partant de la symbolique du balai, dit ce qui suit : Un balai est un ensemble de brindilles fixées ensemble. Une brindille toute seule a beau être la plus grosse, la plus solide ou la plus ferme, toute seule, on est capable de la casser. Au contraire, un balai, on a beau le tordre en tous les sens, on n’est pas capable de le casser. Comme pour dire qu’on peut se développer individuellement, mais c’est ensemble qu’on est fort. En d’autres termes, séparés les uns des autres, les peuples ne pourront qu’être fragiles, trop limités à ce qu’ils sont et ce qu’ils peuvent. Partant, les peuples ont intérêt à se rassembler sans se ressembler. C’est seulement et seulement alors qu’ils pourront se compléter selon les diversités des uns et des autres, dans une interfécondation sociale, culturelle et économique harmonieuse et fructueuse. Bref, c’est ensemble qu’on est fort. Soyons non, une simple brindille mais plutôt un balai formé de brindilles de nos différences (intellectuelles, économiques, sociales et culturelles).

C’est non sans raison qu’Amin Maalouf (1998 :205) soutient que chacun  d'entre  nous  devrait  être  encouragé  à assumer sa propre diversité, à concevoir son identité comme étant la somme de ses diverses appartenances, au lieu de la confondre avec une seule, érigée en appartenance suprême, et en instrument d'exclusion, parfois en instrument de guerre. C’est à ce prix-là que pourront être évités les dérapages meurtriers des identités que l’on cherche à cantonner dans des communautarismes et clanismes exclusionnistes. Edgar Morin (http:dicocitations.lemonde.fr) a donc raison de soutenir : "Avec la civilisation, on passe du problème de l'homme des cavernes au problème des cavernes de l'homme." Ce sont ces cavernes-là où la personne humaine cherche à s’enfermer pour se priver de l’enrichissement qu’il aurait de l’autre sans lequel il ne serait pourtant. Nous le savons, nous sommes grâce et par les autres. Il convient même d’être pour et non contre les autres. Etre contre l’autre, c’est en réalité être contre soi-même. L’on ne peut se rendre compte de son moi, de son identité, de sa personne que grâce à la présence de l’autre, qui qu’il soit. Si l’on était seul, personne ne saurait jamais se rendre compte de qui il est.

En effet, on a beau ne pas y croire, mais la vérité millénaire est que la diversité s’enrichit de l’unité, et que l’unité s’enrichit de la diversité.  Cela implique cependant que soient élaguées les vraies causes de la frustration qui est à la base du désir de saucisonnement. Il nous faut construire des espaces ouvertes à tous. Face à la logique ciseleuse, nous avons besoin de construire des identités constructrices et détruire les identités destructrices. Elles sont donc actuelles, ces paroles du poète camérounais, René Philombé (http://users.skynet.be/prier/textes/PR0849.HTM) :

 

J'ai frappé à ta porte,
J'ai frappé à ton cœur
Pour avoir un bon lit,
Pour avoir un bon feu.
Pourquoi me repousser ?
Ouvre-moi, mon frère !...

Pourquoi me demander
Si je suis d'Afrique,
Si je suis d'Amérique,
Si je suis d'Asie,
Si je suis d'Europe ?
Ouvre-moi, mon frère !...

Pourquoi me demander
La longueur de mon nez,
L'épaisseur de ma bouche,
La couleur de ma peau
Et le nom de mes dieux ?
Ouvre-moi, mon frère !...

Je ne suis pas un Noir,
Je ne suis pas un Rouge,
Je ne suis pas un Jaune,
Je ne suis pas un Blanc,
Mais je ne suis qu'un homme.
Ouvre-moi, mon frère !...

Ouvre-moi ta porte,
Ouvre-moi ton cœur
Car je suis un homme,
L'homme de tous les temps,
L'homme de tous les cieux,
L'homme qui te ressemble !...

 

Cette sollicitation, chacun la nourrit en lui et en a besoin bon gré mal gré.

Gandhi (http://veilleursluxembourgville.unblog.fr/2013/07/11/paroles-de-gandhi/) est aussi tellement suggestif à travers l’un de ses poèmes célèbres qui stipule :

Si tu veux la paix dans le monde, il faut la paix dans ton pays.
Si tu veux la paix dans ton pays, il faut la paix dans ta région.
Si tu veux la paix dans ta région, il faut la paix dans ta ville.
Si tu veux la paix dans ta ville, il faut la paix dans ta rue.
Si tu veux la paix dans ta rue, il faut la paix dans ta maison.
Si tu veux la paix dans ta maison, il faut la paix dans ton cœur.

Comment en arriver là ? Certes, en ne cherchant pas la paille dans l’œil de l’autre, mais plutôt en faisant tout pour ôter de son propre œil, la poutre qui s’y trouve. En ne trouvant pas la cause du manque de paix dans la présence et la défaillance de l’autre mais plutôt dans ma propre incapacité à assumer la différence.

Que cache donc le revers de la médaille de la scission prônée ? C’est ce qui, certainement, a poussé les évêques catholiques du Kivu (Mai 2018 :5), dans un message intitulé « Nous refusons de mourir », à exprimer leur inquiétude face à une certaine tendance politicienne aux intentions inavouées poussant au morcellement et à l’éclatement de la Province. Ils estiment en effet, que cette tendance risque d’attiser les rivalités interethniques pouvant entraîner une certaine épuration ethnique. Il est, par conséquent, fort à parier que l’initiative en question vise, non à promouvoir un groupe ethnique quelconque mais plutôt à légitimer le non-dit. Et les conséquences néfastes priment sur celles positivement bénéfiques à chacun et tous. Alors que de deux maux il faille choisir le moindre, la pétition en faveur de la scission choisit le pire. La solution à l’inaccessibilité ethnique à certaines zones de la province est dans la promotion de l’ouverture de tous et chacun à tous, partout, non dans l’exclusion de chacun par tous et partout. Il ne faut donc ni scinder ni céder mais plutôt s’aider mutuellement à vivre. Tel est, non l’inceste ontologique, mais plutôt l’exogamie ontologique.

Références

  • ASSEMBLEE EPISCOPALE PROVINCIALE DE BUKAVU (2018), Nous refusons de mourir : Message des Evêques membres de l’ASSEPB aux fidèles catholiques, à la population congolaise et aux hommes de bonne volonté, Goma.
  • DURKHEIM Emile (2017), La prohibition de l’inceste et ses origines : Etude de sociologie, Paris, Payot & Rivages.
  • FREUD Sigmund (1912), Totem et tabou : Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des peuples primitifs, Edition électronique disponible sur http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm
  • http://dicocitations.lemonde.fr/citations/citation-51642.php
  • http://users.skynet.be/prier/textes/PR0849.HTM
  • http://veilleursluxembourgville.unblog.fr/2013/07/11/paroles-de-gandhi/
  • https://www.youtube.com/watch?v=GTiptTSkiQ8
  • MAALOUF Amin (1998), Les identités meurtrières, s.l., éd.Grasset.
  • RDC, Loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les Provinces.
  • REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO, CABINET DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE (2011), Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, in Journal Officiel de la république Démocratique du Congo, Numéro Spécial, 5 février 2011, Kinshasa.
  • www.depeche.cd
  • www.politico.cd

Ulimwengu Biregeya (Chef de Travaux à l’UCS-Goma, biregul@unisapientia.net)

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