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Par Ulimwengu Biregeya Bernardin

 

      Introduction

      Alors que nos ancêtres se sont débattus pour organiser leurs royaumes et empires dont ils assuraient la prospérité au risque de leur vie, ils résistèrent difficilement à la force de la rencontre avec l’Occident. Ce fut un échec qui, aux yeux de certains analystes, entraîna la déportation des plus vigoureux d’entre eux dont les muscles furent contraints, de façon ingrate, à faire de l’Amérique ce qu’elle est actuellement. Ce fut donc un échec du côté de l’Afrique, et une réussite du côté de l’Occident dont le fameux commerce triangulaire contribuera à dépouiller littéralement l’Afrique jusqu’à imposer la logique des opprimés qui, par syndrome de Stockholm, joueront et jouent encore et convenablement le rôle de l’oppresseur malgré les indépendances de plâtrage et un système éducatif plusieurs fois réformé sans pour autant assouvir les aspirations pratiques de la société.

      Dans la mythologie grecque, Homère rapporte que pour quelque manquement de sa part, les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu'au sommet d'une montagne d'où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu'il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir[1]. Il s’agit là d’une condamnation à l’inachevé, à une sorte de peine perdue, pour devenir le héros de l’inutile, bref, de l’absurde ! Sans trop exagérer, il arrive que l’on se demande si par hasard tel ne serait pas le cas de la RDC dont le système éducatif peine à produire des transformateurs sociaux sur base de son potentiel multidimensionnel qui suffit pour assurer le bien-être du plus grand nombre possible de citoyens.  Comme l’antique Sisyphe, la proclamation de l’indépendance de la RDC ne put résister aux manipulations et au téléguidage qui, soixante et un ans après, continue à peser sur les gouvernants et les gouvernés dont les efforts de réforme – sincères soient-ils –, se réduisent presque à un certain brassage du vide, au regard des résultats qui, jusque-là, sont loin de dépasser la promesse des fleurs. L’on se demande à juste titre à quand la fin de la galère, vu l’horizon meilleur qui semble être sérieusement éloigné. Pour l’illustrer, cette réflexion relèvera les signes décisifs et prometteurs d’une part, et de l’autre, des pierres d’achoppement et brouillards faisant obstacle aux efforts fournis, pour enfin indiquer l’avenir probable sur base des balises déjà en place sur base des états généraux, tables rondes et fora à visée réformiste qui ont déjà eu lieu.

      D’où nous venons

      Le système éducatif RD Congolais est la résultante de moult adaptations et réadaptations que les ancêtres ne cessaient d’apporter à l’initiation des générations montantes pour leur permettre de faire face aux aléas de la vie, compte tenu de l’environnement sans cesse dynamique. À l’époque coloniale, le colon essaya de s’arrimer à la culture des colonisés en fonction des besoins hégémoniques de la métropole. Après l’indépendance, des efforts de décolonisation de l’éducation furent fournis, bien que faisant face à tant d’obstacles poussant à une sorte de marche-sur-place mais aussi à une avancée à reculons ; il est cependant permis d’espérer à la renaissance pour relever le défi, comme ce papier tâchera de le montrer.

      Des signes prometteurs perfectibles

      Le système éducatif de la RDC s’inscrit dans une histoire ayant été marquée par quelques signes décisifs en termes de volonté d’amélioration de son organisation et du vécu quotidien des citoyens, bien que les résultats pratiques semblent de loin inférieurs à la moyenne attendue. En effet, à chaque époque, à chaque régime, correspond une certaine lutte pour recouvrer et promouvoir le homo erectus congoensis, le congolais vraiment debout, sans que les efforts n’en soient concluants comme on s’y attendrait. Ainsi, Kasavubu voulut d’un Congo conciliant ; Lumumba voulut d’un Congo libéré du joug impérialiste ; Mobutu voulut d’un Congo uni et désaliéné ; Kabila père voulut d’un Congo autonome et désendetté ; Kabila fils voulut d’un Congo sevré ; et Tshisekedi veut d’un nouveau départ pour le redressement national à partir de la base. Chacun de ces vœux constitue une leçon à transmettre à travers différents cours dispensés aux jeunes pour les inspirer.

      En effet, pour l’éducation de leurs concitoyens, chaque leader put apporter une pierre pour l’édification de cet édifice titanesque qu’est le Congo : Kasavubu laissa son empreinte d’honnêteté organisationnelle ; Lumumba, le devoir d’être affranchi  du colonialisme et de ses fantoches ; Mobutu, la sécurité et la grandeur du Zaïre ; Kabila père, la non trahison du Congo et le refus de la politique de la main tendue ; Kabila fils promut un silence plus éloquent que les mots, la diversification du partenariat économique, et la passation civilisée du pouvoir ; tandis que Tshisekedi fils franchit un pas de titan dans la lutte – bien que discutable – contre la corruption et la démystification des intouchables.

      Chez les uns et les autres, il ressort un besoin d’indépendance et de recouvrement de la souveraineté de la RDC. Faut-il néanmoins faire remarquer que contrairement à l’opinion populaire, l’indépendance n’est pas un paradigme absolu dans son application. En effet, dans un monde de plus en plus en relations globalisées, nul pays n’est catégoriquement indépendant à proprement parler ; la véritable indépendance n’est plutôt qu’une interdépendance respectueuse et mutuellement avantageuse, vu la nécessité incontournable de complémentarité obligeante, étant donné qu’aucun pays ne se suffit, et que personne ne saurait tout faire ni tout consommer de ses biens et services.

      Notons que l’un des signes prometteurs consiste en la lutte contre la corruption. Ce mal structurel et systémique de plus en plus transformé en mode d’être et de faire jusqu’au plus haut sommet de la sphère sociale constitue non sans raison l’une des priorités de l’action gouvernementale de la quatrième république, malgré les limites relevant de l’application qui en est faite. Ce phénomène va de la petite corruption touchant le citoyen ordinaire jusqu’à la grande corruption vécue au sein des structures étatiques, et fut consacré par le fameux « débrouillez-vous » mobutien. Les slogans tels : « tolérance zéro ; fin de la récréation ; le peuple d’abord… » sont loin d’en arriver à bout. La prédocratie semble être un mode d’accès au pouvoir en dépit de la démocratie parfois chaotique tendant vers la médiocratie, ce système promouvant les individus que Alain Deneault[2] qualifie de ni bons ni mauvais, prêts à « jouer le jeu ». Ce théoricien de la médiocratie ajoute : « La médiocratie incite à vivre et à travailler en somnambules, et à considérer comme incontournable le cahier des charges - même absurde - auquel on est astreints. »[3] Elle « nous incite à sommeiller dans la pensée, à considérer comme inévitable ce qui se révèle inacceptable et comme nécessaire ce qui est révoltant. Il nous idiofie »[4], conclue-t-il.

      Ce mal se vivant à des degrés divers se caractérise par le fait que c’est le plus médiocre qui s’en tire, et que c’est la médiocrité qui paie, soutient Alexandre Zinoviev[5]. Bref, la médiocrité désigne l’ordre médiocre érigé en modèle. Au nom de ce défaut, la lutte contre les antivaleurs constitue un mal à décourager. C’est ce qui arrive face au travail qu’abat l’Inspection générale des finances (IGF) dont le rapport sur la période allant de décembre 2020 à janvier 2021 avait révélé les tares ci-après : le paiement de primes et avantages illégaux ; l’absence de pièces justificatives des dépenses ; la mauvaise gestion ; le paiement irrégulier et abusif des primes…[6] Quant au rapport du 20 juillet 2021[7], il fait remarquer les failles suivantes : le recrutement inadéquat et inconsidéré ; absence de justificatifs ; dysfonctionnement du système comptable ; manques à gagner, recours aux marchés de gré à gré ; signature de contrats léonins…Ces mêmes manquements correspondent aussi, à quelque exception près, aux maux qui rongent le système éducatif où il est parfois décrié l’existence d’établissements et agents fictifs, sans oublier la tribalisation, le collinisme scientifique et la politisation de la gestion des ressources humaines, comme le note Joseph Senda[8].

      Par ailleurs, des études en rapport avec la sémiologie de la corruption en RDC indiquent quelques vocables utilisés pour couvrir l’ignominie : coop (contraction de coopération), madesu ya bana (littéralement les haricots pour les enfants), kolomba (offrir), solola bien (parle bien), ancre, mbongo ya rame (l’argent pour les rames), mbongo ya vin (l’argent pour le vin), mbongo ya makolo (l’argent pour le pied), commission, enveloppe, motivation, transports, frais de suivi, unités, bière, mike mike (petit petit), perdiem, invisible, nsisani, café, thé, aidez-nous à vous aider, kambeketi, kanyaka (donne-nous l’argent), dikoho, avocat, pakola mafuta (huiler), sukola mbebo (lave les lèvres), tozo liate (on ne mange pas), ozo sanza te (tu ne vomis pas), etc.[9] sukari (du sucre), sabuni (du savon), madogo (quelque chose), chai (du thé), unités, transport…

      Le mal étant si profond, les efforts de lutte font encore face à nombre d’obstacles, le plus important étant celui lié au fait que les acteurs principaux se retrouvent encore parmi ceux qui sont supposés participer de près à la lutte ! C’est certes contre ce mal (corruption voilée) que s’insurge le Ministre de l’enseignement supérieur et universitaire lorsqu’il interdit la pratique congolo-universitaire du payement parfois abusif du « droit d’auteur » pour des « syllabus ». Dans un certain nombre d’institutions, ce payement tient même lieu de garantie de la réussite ; ne pas s’en acquitter c’est lamentablement s’exposer à un échec garanti et inévitable, à moins de bénéficier d’un miracle. À cela s’ajoutent les points sexuellement et/ou financièrement transmissibles à souhait. Il est vrai qu’il y a lieu de couvrir ces bassesses derrière les conditions minables des potiers de l’avenir, mais cet argument n’est pas suffisant, vu que la dignité n’a pas de prix, et qu’il y a des acteurs qui gardent leur tête haute malgré tout.

      À ce sujet, Kä Mana note : « Au Congo, on veut toujours redresser la situation universitaire de la nation par le haut, en rassemblant les professeurs, les experts et les grands spécialistes des théories éducatives. (…) [Pourtant], la transformation de la situation universitaire par le haut est à bout de souffle, du simple fait que les réformateurs font maintenant largement partie du problème à résoudre. »[10] Pour lui, ce sont à présent les étudiants (la base, ces victimes du système) qui doivent faire entendre leur voix sur la vision qu’ils ont de l’avenir du Congo pour réformer le système, en collaboration avec les parents.

      Constats et aveux

      Le système éducatif, en plus de souffrir de tares liées aux insuffisances lui reprochées et aggravées par le manque de prise en charge satisfaisante des enseignants par l’État, couplé aux interruptions dues aux grèves et à la survenue de la covid-19, reste encore marqué par le fait que « la théorie et la pratique sont généralement traitées comme des catégories dissociées, voire opposées », vu que « l’école tend à séparer les savoirs théoriques et les savoirs pratiques, la connaissance et le savoir-faire »[11]. Partant, bon nombre de jeunes issus de ce système éducatif font lamentablement face au chômage, vu leur faible capacité praxique en fonction de la manière dont ils ont été éduqués qui ouvre difficilement à l’initiative et l’innovation aussi bien pendant qu’après la formation.

      La réalité est qu’en dépit des états généraux de l’enseignement jusque-là prévus, il est fort à parier que les résultats contribueront difficilement au renouveau, vu l’approche adoptée. En effet, au lieu de procéder aux analyses évaluatives multi-acteurs sans complaisance à la base (c’est-à-dire, au niveau de chaque province) avant de procéder à l’analyse nationale, la démarche consiste à réunir les chefs d’établissements avec quelques invités du monde professionnel pour aborder la question au niveau national. La démarche convenable devait consister à réunir aussi bien des enseignants, des chefs d’établissements, des chefs d’entreprises publiques et privées, des recruteurs, des représentants des organisations non gouvernementales locales, nationales et internationales, du monde associatif et syndical, des associations d’anciens étudiants, l’Institut national de préparation professionnel, des représentants d’étudiants, et même des parents… pour relever les forces et faiblesses du système et indiquer des possibilités d’amélioration du système, car le mal est systémique, et qu’en fait, si les poissons sont malades, il convient non de traiter les poissons mais plutôt l’eau-même dans laquelle ils baignent. Cette eau-là, c’est bel et bien le système éducatif rongé par l’orgueil et la déconnexion d’avec le réel. Les fruits d’un système éducatif inadapté constituent un fléau pour la société.

      À dire vrai, la manière dont sont dispensés les cours est loin de s’inspirer de la pédagogie culturelle et familiale de l’Afrique traditionnelle et de l’exigence d’exemplarité. Il s’agit pour l’enseignant, de dire ce qu’il fait et faire ce qu’il dit, en compagnie des apprenants. Pour preuve, nous savons que s’exprimer en langue maternelle n’est pas fonction d’un apprentissage grammatical classique préalable mais plutôt le fruit de l’imitation du voisinage. Aussi, la partie théorique se limitait traditionnellement aux rencontres vespérales autour du feu, pour suivre les contes, devinettes, mythes, légendes et proverbes de la part des aînés pour initier au savoir. Le reste de la journée est consacré à l’apprentissage par la pratique-même.

      Ainsi, l’enfant et le jeune apprennent de leurs parents la construction, la cuisson, la chasse, l’agriculture, la pêche, l’élevage, l’entretien des relations, le commerce… À l’inverse, notre système éducatif souffre encore de la plus grande partie des leçons aux théories abstraites, de la part de ceux qui disent ce qu’ils ne font pas et qui, par orgueil, ne vont pas vers ceux qui font et réussissent ce que disent les cours universitaires, et qui, en principe, devaient être associés aux activités pédagogiques. En attendant, les plus diplômés restent professionnellement subordonnés aux moins lettrés, mais n’admettent pas du tout de les associer à la formation des générations montantes, au motif qu’ils n’en ont pas qualité. Et pourtant ! Par ailleurs, dans le monde universitaire, la logique consiste à consacrer 75% des enseignements à la théorie et difficilement 25% à la « pratique » ! Dieu seul sait même de quelle pratique il s’agit. Pratique signifie, dans le contexte classique en vogue, que le professeur dispense les enseignements théoriques puis laisse les étudiants à la merci de son assistant qui, à son tour, leur fait des exercices ou les envoie sur terrain où il ne sait même pas les accompagner faute de moyens et de temps. Le danger que présente ce mode est de donner l’impression que l’élève est plus pratique que son maître ; ce qui est un non-sens.

      Ainsi, à l’exception de la faculté de médecine qui est plus réaliste que les autres, du moins dans des institutions sérieuses, des jeunes passent cinq ans dans cette ambiance, en contact superficiel et rarissime avec le monde professionnel. Au terme des études universitaires, malgré toutes les leçons d’informatique et d’anglais, ils exigent aux parents de leur offrir encore de l’argent pour fréquenter des centres de formation pour des matières qu’ils sont pourtant supposés maîtriser après autant d’années d’étude. On a beau faire des évaluations, la vérité est qu’il faut non seulement revoir le programme d’enseignement mais aussi assurer une collaboration renforcée et permanente entre le monde académique et le monde professionnel, avec des interventions de part et d’autre des acteurs de ces deux mondes. Il devra en être de même pour les recherches et leur supervision conjointe. Admettre qu’il y ait la touche conjointe des académiciens et des praticiens, pour des cours et des recherches dignes de ce nom à impact visible. C’est à ce prix que sera mis un terme à la distorsion entre l’enseignement et la profession.

      Point n’est besoin de rappeler que comme le fait remarquer Nico Hirtt[12], la pratique est à l’origine des savoirs élémentaires dont l’accumulation finit par engendrer des savoirs théoriques ; que la pratique est source de questionnements auxquels la théorie est appelée à répondre ; et que la pratique est le critère de vérification des savoirs théoriques. Seul un mariage entre ces deux peut contribuer à rendre beaucoup plus utile notre enseignement. Evidemment, cette pratique pédagogique ne saurait rimer avec la pléthore habituelle des auditoires, l’incapacité de prise en charge convenable des encadreurs des étudiants, et la bureaucratie alourdie par des procédures confinant les scientifiques dans des bureaux et auditoires déconnectés du terrain. À cela doit s’ajouter la possibilité de mobilité des acteurs (enseignants et étudiants) pour aller vers les organisations et vice-versa. Il conviendra que chaque organisation, chaque entreprise soit dans l’obligation de contribuer à la formation des jeunes et que chaque institution universitaire soit en devoir de contribuer à l’essor des organisations et entreprises, pour le développement de la nation. Le hiatus qui caractérise encore ces deux secteurs n’avantage en rien l’essor de la RDC.

      C’est exactement ce que note Georg Kerschensteiner en ces termes :

« La grande erreur de l’enseignement actuel est d’apprendre aux enfants toutes sortes de choses qui leur sont éloignées et de les laisser ignorants de ce qui leur est proche. Ainsi un fossé a-t-il grandi entre l’école et la vie. Or, la force vivante de l’éducation ancienne était de commencer par l’environnement immédiat. C’est sous la pression de l’activité quotidienne, au milieu des instruments et des outils de travail que grandit l’enfant de l’agriculteur ou de l’artisan. Il voit, il entend et tout ce qu’il voit et entend agit puissamment sur ses sens. Le champ ou l’atelier deviennent le centre de son univers et de son existence, le point autour duquel tournent toutes les pensées, auquel se raccrochent tous les concepts, d’où ils naissent et où ils retournent. (L’école) devrait, comme dans la vie, commencer toujours par la pratique et partir de là pour développer la théorie »[13]

      Notre système éducatif est encore loin d’incarner cette parole de sage qui, pourtant, dit tout ce qu’il nous faut pour une éducation émancipatrice. Ou l’on est décidé à regarder la vérité en face, ou l’on est décidé de se voiler la face et former des cerveaux inutiles. Pas étonnant donc, comme le reconnaît l’Institut national de la statistique[14], que les congolais âgés de 25 à 34 ans sont plus dans le chômage (41,7%), et que Kinshasa héberge le quatre dixième (46%), suivi de la Province du Haut Katanga (17%) et du Nord-Kivu (16%). Sachant que la RDC est classée au 175ème rang sur 189 pays dans l'indice de développement humain 2020[15], il n’est pas étonnant qu’il soit vraiment urgent de rendre la formation des jeunes beaucoup plus théorico-pratique et pratico-théorique, pour favoriser la mise en valeur des ressources les plus élémentaires possibles afin d’atténuer le chômage et le sous-emploi. C’est à cela que doit s’atteler une réforme réaliste de l’éducation.

      Par ailleurs, « de centres d’excellence et lieux de contestation et de renouvellement des idées qu’elles étaient, les universités ont été en grande partie réduites en centres de médiocrité et lieux de stagnation et de subsistance, où les étudiants tout comme le personnel poursuivent de multiples modes de survie qui distraient du travail universitaire concentré. »[16]  C’est ce qui, même confine nombre de ces acteurs dans une prétention de connaissance privée d’humilité devant les pousser à apprendre de ceux supposés ne pas être de leur calibre pour intervenir à l’université. Pourtant, la franchise devait, au vu de la débâcle actuelle, procéder par un aveu d’échec et accepter de collaborer avec les praticiens dont l’apport pédagogique a longtemps ignorés dans la conception classique produisant, pour ce faire des manchots praxiques. 

      En 2012, l’Institut national de la statistique faisait remarquer un taux de sous-emploi global équivalant à 74,4% ; ce qui revient à dire que 8 sur 10 Congolais étaient sous-employés, bien que le taux de sous-emploi visible n’était que de 6,3%, et le taux de sous-emploi invisible, de l’ordre de 71,3% !  Le taux de chômage était de 17,7%[17] Bon nombre de ces chômeurs sont passés par le système éducatif, jusqu’à l’université même ! En 2019, une étude interministérielle avait rappelé qu’en dépit des constats préalables et de la volonté apparente d’y remédier, « les activités de recherche réalisées n’ont pas d’effets induits significatifs sur la croissance économique du pays. D’où l’obligation de changer le paradigme, de la recherche fondamentale, avec moins de visée d’applications immédiates, à la recherche appliquée portée par une multidisciplinarité et basée sur des besoins de la société et des secteurs porteurs de croissance du pays. »[18]

      Tout compte fait, le système classique de formation supérieure et universitaire souffre d’une déconnexion entre ce qui est appris et ce qui doit être fait sur terrain, vu le fossé séparant les académiciens et scientifiques enfermés dans leurs auditoires et bureaux, loin de la réalité du monde professionnel et l’évolution des pratiques. Rappelons que les études sont destinées à préparer les jeunes à « réussir » la vie ; c’est-à-dire, faire à ce que les connaissances permettent aux bénéficiaires d’être socialement et économiquement utiles à eux-mêmes et à leur entourage. Cela revient à dire qu’ils doivent être à même de se servir de ressources localement disponibles pour répondre à leurs besoins sans pour autant compromettre ceux des autres.

      En ce sens, Kä Mana notait non sans raison, au sujet de ce qu’il appelait le « péché originel » de la formation universitaire africaine : « Nous accumulons des savoirs occidentaux que nous sommes incapables de transformer en dynamiques d’action. Nous regardons les Occidentaux agir sans réellement voir ce qu’ils font ni comprendre les actions que leurs connaissances induisent pour la domination du monde. Nous ne savons même pas refaire correctement ce qu’ils font sous nos yeux dans les domaines des pratiques intellectuelles et dans le champ de la transformation concrète de la réalité sociale. »[19]  En plus de cela, il proposait que les scientifiques prennent conscience de procéder à une sorte d’  « agoratisation » du savoir, afin de permettre au plus large public d’être au courant des solutions aux problèmes du quotidien, au lieu de se limiter à un savoir réservé aux seuls initiés.

      Il sied de souligner qu’être enseignant, c’est constituer un modèle de réussite à l’apprenant. Pourtant ! L’on voit sans cesse que ceux qui, pour la plupart réussissent dans la vie et parviennent même à en embaucher d’autres, c’est, dans bon nombre de cas, des moins lettrés ou des alphabétisés à peine. Un regard sur les hommes d’affaires de renom de notre pays prouve bien cette triste réalité des personnes condamnées à être à la solde des moins lettrés pour gagner la vie sans pour autant avoir le courage d’apprendre d’eux. Ainsi, l’enseignant se réduit à ce genre de féticheur prétendant vendre des portemonnaies magiques alors que lui-même demeure pauvre. En ce sens, les apprenants sont donc encadrés par des contre-modèles de la réussite sociale et économique ; ce qui ne saurait aucunement inspirer positivement ni de façon efficace.

      Pis encore, pour des raisons de convenance, les jeunes sont confinés dans des auditoires pendant des années, encadrés par un bon nombre de personnes qui ne savent ce qu’ils disent que sur base des livres, sans lien effectif avec le train-train de la vie professionnelle qu’ils n’ont, en fait pas l’opportunité de côtoyer. Par prétention de détention exclusive du savoir et du savoir-faire sur base des parchemins dont ils sont porteurs, ils pèchent par omission en refusant d’associer des praticiens à leurs séances d’enseignement et de recherche pour se rassurer que le processus d’enseignement et de recherche devra contribuer effectivement au développement personnel et social. Les académiciens et scientifiques devront se convaincre du devoir d’humilité pour une réforme véritable du système d’enseignement, évidemment, avec l’appui logistique et une bonne dose de volonté politique décisive des gouvernants.

      Bien plus, dans une conférence TEDx, Faysal Hafidi[20] dit s’être rendu compte que l’école va à contre sens de ses objectifs, et qu’ils existent 5 qualités communes aux personnages ayant réussi dans la vie. Non sans raison, il conclut qu’il n’y a pas de lien direct entre la réussite à l’école et la réussite dans la vie. Ainsi en a été de Steve Jobs, Bill Gate et bien d’autres pour qui travaillent ceux qui ont réussi à l’école. Pour cela, il remarque avec amertume que ces qualités-là sont curieusement réprimées dans le système scolaire classique.

      C’est notamment :

  • La passion : cette approche amoureuse entretenue à l’égard de certaines matières par rapport à d’autres. Ce qui fait que l’apprenant passionné ne peut pas avoir une moyenne acceptable car s’adonnant beaucoup plus à un seul domaine plutôt qu’à toutes les matières. Pourtant, la réussite est facilitée par la passion que l’on a pour ce que l’on fait. Le passionné est, dans le système classique, pris pour un déviant.
  • La curiosité : elle permet de découvrir des solutions aux problèmes. Un curieux cherche à s’informer davantage. Il arrive alors que son enseignant ne le comprenne pas et lui dit être hors-sujet. Ce genre d’apprenant n’ingurgite pas les informations mais vise plutôt à les approfondir davantage.
  • Orientation vers l’objectif : il s’agit de réfléchir au futur métier et à la carrière, et étudier en fonction de cela, car le nécessaire ne consiste pas à être premier de classe mais d’atteindre son objectif.
  • La créativité : elle n’est pas cultivée ni encouragée à l’école, vu qu’on est en devoir de se limiter à la routine habituelle et apparemment normale pour ressembler aux autres.
  • La sociabilité : cela se caractérise à l’école par l’excès de bavardage avec les autres. Ce genre d’apprenant triche par sociabilité, par souci d’aide aux autres à l’école.  C’est ce qui, dans le monde professionnel, correspond au « team building ». Dans la vie, personne ne peut, à lui tout seul, réussir une entreprise quelconque, contrairement à ce qui se promeut à l’école. Les personnes ainsi sociables n’ont pas de problème à s’intégrer dans une société.

      De ce qui précède résulte la nécessité de mettre en place une cellule d’orientation universitaire au niveau de chaque institution. Non une cellule figurante mais plutôt une structure équipée en ressources et en compétences. Celle-ci sera être associée à la commission chargée des inscriptions et à celle de l’assurance-qualité. Son rôle devra être assumé et joué tout au long de l’année, pour assurer le suivi de l’évolution des apprenants dans le sens de leurs aspirations profondes, pour orientation et coaching.

 

[1] Albert Camus, Le mythe de Sisyphe. Essai sur l’absurde, Paris, Gallimard, 1942, p.109.

[2] Alain Deneault , La médiocratie, Québec, Lux Editeurs, 2016, p.12.

[3] Ibid.

[4] ibid., p.16.

[5] ibid., p.11.

[6] Inspection générale des finances, Feuille d’observations à la Société commerciale des transports et des ports, Kinshasa, 20 juillet 2021.

[7] Inspection générale des finances/RDC,

[8] Joseph Senda Lusamba, « La politisation de la gestion des ressources humaines dans l’enseignement supérieur et universitaire en République Démocratique du Congo : cas du système de quota régional », in Journal of Higher Education in Africa / Revue de l'enseignement supérieur en Afrique, Vol. 3, No. 2, 2005, en ligne sur https://www.jstor.org/stable/24486250

[9] Kodila Tedika, « Anatomie de la Corruption en République Démocratique du Congo », in https://mpra.ub.uni-muenchen.de/49160/ MPRA Paper No. 49160, posted 19 Aug 2013 13:16 UTC

[10] Kä Mana, L’homme congolais et la culture de l’intelligence. Réflexions pour une société du savoir, de la recherche et du savoir-faire, Goma, Pole Institute, 2016, p.133.

[11] Nico Hirtt, « Intelligences, savoirs, pédagogies… Réconcilier la théorie et la pratique », in L’école démocratique, n°59, septembre 2014, en ligne sur www.skolo.org/IMG/pdf/théorie-pratique

[12] Nico Hirtt, art.cit.

[13] cité par ibid.

[14] Institut national de la statistique, Enquête avec questionnaire unifié à indicateurs de base de bien-être. Rapport d’enquête, Kinshasa, 2018.

[16] Adebayo Olukoshi et Felicia Oyekanmi   cités par Kä Mana, Réinventer l’université africaine. Pour la renaissance de l’Afrique dans une nouvelle civilisation mondiale, Ottawa-Yaoundé, éd.Malaïka-Clé, p.15.

[17] Institut National de la Statistique, Annuaire statistique 2015, Kinshasa, mars 2017, p.261.

[18] RDC, Mise en œuvre de la Stratégie sectorielle de l’éducation et de la formation 2016-2025. Rapport de suivi n°1 . Version Préliminaire, Kinshasa, novembre 2019, p.84.

[19] Kä Mana, Réinventer l’université africaine...op.cit., p.107.

Impératifs et modalités

      Partant de constats malheureux ci-haut décrits, le gouvernement a organisé des états généraux de l’enseignement, du 06 au 14 septembre 2021. Au cours de ces assises il était prévu que « les praticiens et partenaires du secteur dégagent des options et des recommandations concrètes dont la mise en œuvre permettra au gouvernement de relever les défis qui impactent négativement le système éducatif congolais parmi lesquels l’inadéquation entre la formation universitaire et le monde de l’emploi, et la difficulté d’entreprendre des recherches axées sur des solutions des problèmes de la société ».[1] Rien de nouveau n’est donc ici dit. Ce qu’il conviendra de faire, c’est d’identifier les véritables causes et d’y trouver les meilleurs des remèdes, car ce constat malheureux date de 50 ans, et que les assises antérieures n’ont pu en venir à bout. À l’issue de ces assises, une panoplie de 207 recommandations a été formulée[2] à l’égard du parlement, du gouvernement, du monde scientifique, du personnel administratif, technique et ouvrier, des étudiants, du monde professionnel, du monde économico-financier, de la société civile, du syndicat, des partenaires techniques et financiers, et des familles.

      Notons que l’impératif de la réforme se veut historiquement caractérisé par quelques moments importants : la réforme de 1971 dont la visée était de décoloniser l’enseignement, celle de 1981 et 1986 pour l’assouplissement du mode de gestion, les états généraux de 1996, et la réforme de 2003 (du 29 au 30 octobre 2003) pour moderniser le système et faire de l’université un centre d’excellence. Ces bonnes intentions ont cependant fait face à l’ineffectivité, pour diverses raisons qui, - Dieu seul sait -, s’ils ne restent pas actuelles. Comme jadis, il est hors de tout doute raisonnable que ce qui avait été constaté en 1971 reste valable jusqu’à présent, si bien qu’il y a lieu de se demander si le système n’est en réalité pas en train d’avancer à reculons. En effet, il avait été constaté, 11 ans après l’indépendance, les tares suivantes : 1) l'inadéquation entre la formation universitaire et le monde d'emplois ; 2) l’incapacité de former des agents de développement national épris d'un sens aiguisé de nationalisme, de conscience professionnelle, de respect des biens communs ; et 3) la difficulté d'entreprendre des recherches axées sur des solutions des problèmes de la société.[3] Nous n’en sommes pas encore loin ! Si ce qui a été constaté il y a cinquante ans l’est encore aujourd’hui, la question nécessaire serait d’identifier les véritables raisons de la non application effective des mesures correctives. Et c’est alors sur ces racines qu’il conviendra d’agir en fonction du contexte.

      La seule et simple adoption de la réforme de Bologne risque de n’être qu’une pratique maladroite devant contribuer à creuser davantage le fossé de la tombe où se réalisent les funérailles du système éducatif de la RDC. S’il est dit d’un certain nombre de licenciés qu’ils sont faibles alors qu’ils font 5 ans universitaires, qu’en sera-t-il de ceux qui n’en auront fait que trois dans les mêmes conditions matérielles, techniques et humaines ? Encore qu’il convient de se rassurer au préalable que les réformes à entreprendre au niveau supérieur et universitaire riment avec ceux du secondaire et du primaire qui en constituent le socle. C’est effectivement ce que prévoit la stratégie sectorielle de l’éducation 2016-2025.

      En effet, la stratégie sectorielle de l’éducation et de la formation 2016-2025 est plus qu’explicite : « Une plateforme de concertation réunissant des personnes ressources de tous les sous-secteurs (du préscolaire au supérieur) révisera l’ensemble des curricula. Ce comité scientifique sera chargé de définir les socles de compétences et les profils de sortie qui constitueront des éléments de référence afin de guider cette réforme. La révision des curricula participera à la simplification des programmes et à leurs adaptations aux besoins du développement national. »[4] Espérons que ce comité scientifique existe déjà et qu’il est fonctionnel pour qu’il y ait effectivement un lien logique et harmonieux entre emplois, qualifications et curricula d’enseignement et que la réforme envisagée bénéficie de leur expertise conjointe. Ce n’est pourtant pas l’impression que la réalité donne.

      En fait, comme cela avait été préalablement prévu, et c’est à notre avis fondamental, car constituant la véritable réforme à adopter. Évidemment, cela devra être couplé par un appui logistique conséquent, et des garanties de bonne gouvernance, ladite réforme implique un partenariat permanent et respectueux :

  • Entre les institutions d’enseignement avec les entreprises locales qui doivent juger de la pertinence de l’offre organisée,
  • pour développer des opportunités de mise en place de formation en alternance (cours pratiques dans les milieux professionnels) ;
  • impliquer les professionnels dans le déroulement de la formation et dans le renforcement des capacités des formateurs;
  • impliquer le secteur (privé) productif dans le conseil d’administration des établissements ;
  • impliquer les professionnels  dans l’élaboration des curricula, dans le processus de formation, dans les évaluations et dans la certification (jury)[5].

      Voilà qui jusqu’à ce jour n’est effectif que de façade, malgré toutes les bonnes intentions et tous les beaux discours des politiques et des chefs d’établissements que le maquillage rhétorique arrange pour se tirer d’affaire. En attendant, l’on ne cesse de s’étonner que les fruits du système sont déboussolés aussi bien en matière de savoirs nécessaires que par rapport aux pratiques transformatrices ! Les institutions supérieures et universitaires sont beaucoup plus des établissements aux procédures bureaucratiques déconnectées de solutions contextuelles, faute de combinaison harmonieuse et synergique entre monde académique et monde professionnel, entre apprentissages théoriques et réalités professionnelles. Si les états généraux ne tiennent vraiment pas compte de cette voie, il vaudrait mieux garder le système ancien plutôt que d’adopter le LMD dont les fruits risquent d’être plus catastrophiques que ceux de jadis. Dans les mêmes conditions, les mêmes causes entraînent les mêmes conséquences. Si les acteurs restent les mêmes, les pratiques didactiques les mêmes, les conditions de travail les mêmes, l’approche partenariale la même, la rhétorique la même, il vaudrait mieux se taire et laisser les choses évoluer telles qu’elles sont.

      De véritables états généraux impliquent et nécessitent un travail méthodique ne devant pas se limiter à la logorrhée habituelle des politiques, des scientifiques et quelques invités de marque. Il faut, pour ce faire, méthodiquement un plan d’analyse clair et adapté aux différents types d’acteurs et domaines, pour analyser la situation, relever les atouts et possibilités puis indiquer les voies à emprunter sur base des nécessités contextuelles de la RDC. Pour cela, le personnel académique et scientifique, les politiques, les chefs d’entreprises (Fédération des entreprises du Congo), les recruteurs d’entreprises et des organisations, des délégués des organisations non gouvernementale, ceux des syndicats, des experts de tous les niveaux d’enseignement (maternel, primaire, secondaire, professionnel)… devront être associés aux consultations devant constituer l’essentiel de la matière à exposer au niveau national. Ce qui implique qu’au niveau provincial, il faut des séances de travail de cette même envergure par domaine ou groupe de domaines connexes, sanctionnées par des cahiers de charge de chaque catégorie d’acteurs et domaines. Ces cahiers de charge devront ensuite faire l’objet d’une analyse conjointe de trois catégories d’acteurs : le personnel académique et scientifique ; experts du ministère ; praticiens. L’ensemble de ce travail constituera alors l’essentiel de la matière devant déboucher sur le curriculum et l’approche pédagogique concertée à adopter.

      Tout en reconnaissant la nécessité de réformer notre système éducatif, il y a lieu de se demander par quelle extrême urgence la réforme est subitement généralisée, contre le principe de progression initialement prévu. En effet, la stratégie sectorielle de l’éducation et de la formation 2016-2025 prévoyait qu’en 2025, tous les établissements d’enseignement supérieur et universitaire auront basculé au LMD, compte tenu d’un arrimage progressif au LMD. Le test de la mise en œuvre de ce système a été fait sur 19 institutions, soit 5% d’établissements depuis l’année universitaire 2019-2020, avec des programmes de la licence.

      Par ailleurs, le Cadre normatif du système LMD en RD Congo[6] renseigne que le processus d’arrimage au LMD en RDC s’est échelonné sur trois phases : phase de réflexivité (2007-2011) marquée par l’organisation de fora ; phase de conduite des expériences pilotes volontaristes (2012-2017) ; et la phase de généralisation (2018-2023). À ce propos, une période de 5 ans avait été accordée à tous les établissements d’enseignement supérieur et universitaire à partir de 2018-2019. Ce qui, logiquement, implique que le plus tard pour la durée butoir de la généralisation serait l’année universitaire 2022-2023, s’il est tenu compte de la phase de transition de l’ancien système au nouveau formellement fixée à 5 ans[7]. Encore qu’il conviendrait de ne pas oublier d’avoir en vue le contexte d’application, au lieu de se limiter au seul respect de la planification initiale dont la phase terminale vient pratiquement d’être avancée d’une année, si l’on considère les dispositions du Cadre normatif au sujet de l’arrimage obligatoire et généralisé en 2022-2023[8].              

      Contre toute attente, d’où serait venue l’urgente nécessité de la généralisation de ce système en 2021-2022 dans toutes les promotions et toutes les filières comme le consacre l’Instruction n° 023 ?[9] Et comme si cela ne suffisait pas, et surtout que l’impossible n’est pas congolais, l’année nouvelle a été lancée sans que les programmes d’enseignement ne soient encore disponibles, alors que l’instruction ministérielle stipulait que les enseignements à dispenser dès l’année académique 2021-2022 seraient contenus dans les arrêtés y afférents[10], pourtant non disponibles lors de l’ouverture des activités académiques. Il y a là, une sorte de servitude volontaire de la part des acteurs du monde universitaire qui, tout en sachant que ce qui est demandé est techniquement prématuré, font contre mauvaise fortune bon cœur en conduisant droit contre un mur le système, vu l’infinité de questions sans réponse.

      Et après ?

      Comprendre le bien-fondé de la réforme du système éducatif, c’est être en devoir d’avouer, par humilité et honnêteté scientifiques, que l’approche actuelle essuie un échec cuisant. C’est, en même temps, reconnaître la nécessité d’aller vers l’acteur longtemps exclu du système (le praticien) pour l’associer à la démarche formative et épistémologique pour relever le défi du caractère inadapté et inapproprié de l’enseignement assuré jusque-là. C’est donc accepter que l’académicien et le scientifique ont à apprendre du praticien et que le travail de ce dernier constitue la matière première dont doivent se servir les premiers pour les théoriser en vue d’améliorer la pratique. C’est, enfin, admettre que la supervision des recherches doit être conjointement assurée par des académiciens et des praticiens de la matière abordée. Telle est la réforme véritable dont a besoin le système éducatif RD Congolais, pour cesser d’être une fabrique de spéculateurs condamnés au chômage faute de créativité.

      Tout en sachant que les seules bonnes intentions et des documents savamment élaborés ne suffisent pas, il faudra fixer des garde-fous pour se rassurer du suivi de l’effectivité d’application qui, cependant doit obéir à la règle de progressivité. La bonne gouvernance devra être promue par une politique non complaisante consistant à s’assurer de l’obtention des ressources financières, logistiques, pédagogiques et organisationnelles nécessaires et du renforcement des capacités du personnel.

      À cela s’ajoute la nécessité d’un suivi rigoureux effectif de la mise en œuvre de la réforme devant être basée sur les résultats, avec des séances toujours conjointes pour l’évaluation débouchant sur la formulation de mesures correctives. C’est alors seulement et seulement alors que le Sisyphe de l’éducation RD Congolaise pourra être à même de gagner le pari de la remontée du rocher éducatif pour un système éducatif produisant des diplômés moins condamnés au chômage et au sous-emploi.


[2] A.Thsimpi Wola Yaba (Coordonnateur national des Etats généraux de l’enseignement supérieur et universitaire), Rapport des états généraux de l’enseignement supérieur et universitaire en RDC, 08 octobre 2021, p.2.

[4] RDC, Stratégie sectorielle de l’éducation et de la formation 2016-2025. Version finale, Kinshasa, 2015, p.62. en ligne sur Strategie-sectorielle-1.pdf (eduquepsp.education)

[5] ibid., p.68.

[6] MINESU, Cadre normatif du système LMD en République Démocratique du Congo, Kinshasa, Mars 2018.

[7] Ibid., pp.161.

[8] Ibid., pp.157-158.

[9] MINESU, Instruction académique n° 023/MINESU/CAB.MIN/MNB/BLB/2021 du 06 décembre 2021 portant directives relatives à l’année académique 2021-2022, Kinshasa, 2021, §109.

[10] Ibid., §110.

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